Trump coupe les fonds, l’Amérique monte au front
Le président américain a présenté jeudi un budget qui taille drastiquement dans l’aide aux plus pauvres, la santé, l’environnement ou encore la culture… De quoi alimenter une résistance citoyenne ravivée par la suspension du deuxième décret anti-immigration.
On en connaissait la ligne directrice : augmenter
massivement les dépenses militaires en réduisant toutes les autres. Les
détails du premier projet de budget de Donald Trump, dévoilés jeudi,
confirment les pires craintes. Dès sa publication, les réactions
indignées se sont multipliées, notamment sur Twitter, où le hashtag
#TrumpCuts («les coupes de Trump») a essaimé. «Les #TrumpCuts sont
tout à fait sensés si vous détestez l’air propre, les emplois sûrs,
l’aide pour les personnes âgées, la recherche médicale, la science et
les arts», a ironisé Marc Perrone, un dirigeant syndical.
Le document d’une cinquantaine de pages décline en chiffres l’idéologie du nouveau président et de sa garde rapprochée : «America First» («l’Amérique d’abord»). Une Amérique barricadée, ultraprotégée, face à une double menace terroriste et migratoire perçue comme existentielle. Une Amérique repliée sur elle-même, où la lutte contre le changement climatique et l’aide aux pays pauvres n’auraient plus guère leur place. Une Amérique prête à sacrifier la recherche scientifique, le soutien aux plus modestes, l’accès à la culture ou la protection de l’environnement pour davantage de navires de guerre et d’avions de chasse.
Dans le détail, le budget Trump prévoit une hausse de 52 milliards de dollars (plus de 50 milliards d’euros) pour le Pentagone (près de 10 %) et de 2,8 milliards pour le département de la Sécurité intérieure (près de 7 %). «En ces temps dangereux, ce budget de sécurité nationale est un message au monde, un message sur la force et la détermination de l’Amérique», martèle le Président. Dans ce budget 2018, 2,6 milliards de dollars sont alloués au financement du mur avec le Mexique et 314 millions de dollars au recrutement de 1 500 agents chargés de la surveillance des frontières et des expulsions. Pour compenser cette explosion des dépenses sécuritaires, tous les autres ministères et agences fédérales verraient leur budget réduit, parfois de manière drastique. A l’image du département d’Etat (diplomatie), privé de 28 % de sa dotation, soit 10 milliards de dollars. Cette réduction affecterait principalement l’aide internationale, en éliminant par exemple la participation américaine au Fonds vert de l’ONU pour climat. Les contributions du pays aux Nations unies et aux banques de développement, dont la Banque mondiale, seraient également rétrécies.
Autre exemple d’initiative que l’administration Trump souhaite supprimer : le programme McGovern-Dole, géré par le département de l’Agriculture, en partenariat avec le Programme alimentaire mondial, qui doit déjà faire face à une famine menaçant 20 millions de personnes. D’un coût d’environ 200 millions de dollars, il fournit une aide alimentaire à plus de 2 millions d’écoliers dans une dizaine de pays pauvres.
Pour les anti-Trump, ce budget nourrit un peu plus le désir de résistance. Depuis l’élection du nouveau président, ces opposants manifestent dans les rues, devant les tribunaux ou les aéroports. Ils adhèrent ou donnent à des associations. Ils harcèlent leurs élus dans des réunions de quartier, par téléphone ou par mail. Sonnés le soir du 8 novembre, «encore en deuil aujourd’hui», selon les mots d’une activiste new-yorkaise, les anti-Trump se mobilisent en masse. Une effervescence citoyenne inédite, assurent certains, depuis les grands défilés pour les droits civiques des années 60. Le «muslim ban», dont la deuxième version a été suspendue par un juge d’Hawaï mercredi, alimente aussi la contestation.
Le mouvement finira-t-il par s’essouffler, comme avant lui Occupy Wall Street et, dans une moindre mesure, Black Lives Matter ? Le risque est réel. Mais tant que Trump poursuivra son agenda et ses déclarations controversés, l’opposition semble destinée à prospérer. Les décrets anti-immigration, l’accélération des expulsions, la relance de projets contestés d’oléoducs, les accusations infondées d’espionnage contre Obama et le plan désastreux de réforme de la santé n’ont fait qu’attiser la fureur des anti-Trump. «Malheureusement, il nourrit notre rage, explique Brad Lander, un élu démocrate de Brooklyn. Jour après jour, il va continuer à mettre de l’essence dans notre moteur.»
Le document d’une cinquantaine de pages décline en chiffres l’idéologie du nouveau président et de sa garde rapprochée : «America First» («l’Amérique d’abord»). Une Amérique barricadée, ultraprotégée, face à une double menace terroriste et migratoire perçue comme existentielle. Une Amérique repliée sur elle-même, où la lutte contre le changement climatique et l’aide aux pays pauvres n’auraient plus guère leur place. Une Amérique prête à sacrifier la recherche scientifique, le soutien aux plus modestes, l’accès à la culture ou la protection de l’environnement pour davantage de navires de guerre et d’avions de chasse.
Expulsions
Soyons clairs : ce budget de rupture n’a quasiment aucune chance d’être adopté en l’état par le Congrès, qui détient in fine les cordons de la bourse. Or, même si la Chambre des représentants et le Sénat sont contrôlés par les républicains, la majorité parlementaire et le Président sont loin d’être à l’unisson sur ce dossier. D’ores et déjà, plusieurs responsables conservateurs ont manifesté leur opposition à certaines coupes envisagées, notamment en matière d’aide au développement. Malgré cela, le budget final, qui doit être négocié et adopté avant le début de l’année fiscale, le 1er octobre, pourrait se révéler désastreux pour des millions d’Américains. Face à l’ampleur de la menace, les démocrates promettent une bataille épique contre ce projet qualifié de «dévastateur» par les chefs de l’opposition au Sénat et à la Chambre, et de «moralement obscène» par le sénateur Bernie Sanders.Dans le détail, le budget Trump prévoit une hausse de 52 milliards de dollars (plus de 50 milliards d’euros) pour le Pentagone (près de 10 %) et de 2,8 milliards pour le département de la Sécurité intérieure (près de 7 %). «En ces temps dangereux, ce budget de sécurité nationale est un message au monde, un message sur la force et la détermination de l’Amérique», martèle le Président. Dans ce budget 2018, 2,6 milliards de dollars sont alloués au financement du mur avec le Mexique et 314 millions de dollars au recrutement de 1 500 agents chargés de la surveillance des frontières et des expulsions. Pour compenser cette explosion des dépenses sécuritaires, tous les autres ministères et agences fédérales verraient leur budget réduit, parfois de manière drastique. A l’image du département d’Etat (diplomatie), privé de 28 % de sa dotation, soit 10 milliards de dollars. Cette réduction affecterait principalement l’aide internationale, en éliminant par exemple la participation américaine au Fonds vert de l’ONU pour climat. Les contributions du pays aux Nations unies et aux banques de développement, dont la Banque mondiale, seraient également rétrécies.
Autre exemple d’initiative que l’administration Trump souhaite supprimer : le programme McGovern-Dole, géré par le département de l’Agriculture, en partenariat avec le Programme alimentaire mondial, qui doit déjà faire face à une famine menaçant 20 millions de personnes. D’un coût d’environ 200 millions de dollars, il fournit une aide alimentaire à plus de 2 millions d’écoliers dans une dizaine de pays pauvres.
Effervescence
Tout un symbole, l’institution la plus durement touchée serait l’Agence de protection de l’environnement, en pointe dans la lutte contre le changement climatique. Son budget serait amputé de 31 %, ce qui se traduirait par la suppression d’un cinquième de ses effectifs et l’interruption de 50 programmes. Le budget des centres nationaux de santé (NIH), principale institution publique en charge de la recherche médicale, serait réduit de 20 %. D’autres programmes fédéraux, comme le Fonds national pour les arts, seraient rayés d’un trait de plume.Pour les anti-Trump, ce budget nourrit un peu plus le désir de résistance. Depuis l’élection du nouveau président, ces opposants manifestent dans les rues, devant les tribunaux ou les aéroports. Ils adhèrent ou donnent à des associations. Ils harcèlent leurs élus dans des réunions de quartier, par téléphone ou par mail. Sonnés le soir du 8 novembre, «encore en deuil aujourd’hui», selon les mots d’une activiste new-yorkaise, les anti-Trump se mobilisent en masse. Une effervescence citoyenne inédite, assurent certains, depuis les grands défilés pour les droits civiques des années 60. Le «muslim ban», dont la deuxième version a été suspendue par un juge d’Hawaï mercredi, alimente aussi la contestation.
Le mouvement finira-t-il par s’essouffler, comme avant lui Occupy Wall Street et, dans une moindre mesure, Black Lives Matter ? Le risque est réel. Mais tant que Trump poursuivra son agenda et ses déclarations controversés, l’opposition semble destinée à prospérer. Les décrets anti-immigration, l’accélération des expulsions, la relance de projets contestés d’oléoducs, les accusations infondées d’espionnage contre Obama et le plan désastreux de réforme de la santé n’ont fait qu’attiser la fureur des anti-Trump. «Malheureusement, il nourrit notre rage, explique Brad Lander, un élu démocrate de Brooklyn. Jour après jour, il va continuer à mettre de l’essence dans notre moteur.»
Mais Donald Trump sait-il lire ?
Quand la réalité dépasse la fiction, comme aujourd’hui aux Etats-Unis, les livres deviennent un refuge et les dystopies des best-sellers. De «1984» d’Orwell à «Impossible ici» de Sinclair Lewis.
Quelques jours avant les élections américaines, Samantha
Bee, satiriste politique de la télévision, a consacré un sujet à Trump
et la lecture. Un astucieux montage d’extraits vidéo montre le candidat
républicain déclarer que ceux qui ne lisent pas sont supérieurs aux
diplômés de Harvard, vitupérer les téléprompteurs auxquels il refuse
d’avoir recours, reconnaître ne pas écrire la plupart de ses tweets mais
les dicter à sa secrétaire, ou encore avouer lors d’une déposition
qu’il n’a pas lu le document qui l’incrimine et prétendre ne pas
pouvoir s’exécuter car il a oublié ses lunettes.
L’effet d’accumulation produit un résultat hilarant et aboutit à la conclusion qu’en réalité, Trump ne sait
pas lire. La vidéo a été vue plus de 3,6 millions de fois sur YouTube.
On apprend au passage que, lorsque les journalistes lui demandent de
citer un livre qu’il a aimé et qu’il a lu récemment, Trump cite le même à
chaque fois : A l’Ouest rien de nouveau (1929), d’Erich Maria Remarque. Hélas, il paraît que sa scène préférée ne figure pas dans le roman, mais dans le film.
Ce n’est un secret pour personne : Trump, la lecture et les livres
sont un non-sujet. On a beau scruter les photos de son appartement de la
Trump tower, pas le moindre rayonnage, pas la première trace de
volumes. Il préfère la télévision. Soit. Ce pseudo-illettrisme n’est
évidemment pas sans rapport avec la langue très rudimentaire qu’il
emploie, et qui est censée le rapprocher du «peuple» - merci pour lui. A
l’ère de la post-vérité, la langue de Trump, confuse, syntaxiquement
fautive et d’une remarquable pauvreté lexicale, est le cauchemar des
traducteurs et des interprètes. Elle s’accommode naturellement de toutes
les imprécisions et autres approximations, et se distingue par l’abus
de certains adjectifs («great», «tremendous», «amazing», «huge» ou le fameux «sad !» en fin de tweets), qui rend désormais presque embarrassant leur usage courant.
Toutes ces caractéristiques ne soulignent pas seulement le contraste
saisissant avec Barack Obama, orateur d’une éloquence exceptionnelle,
ami des écrivains et lecteur boulimique, qui publiait chaque année sa
liste personnelle de livres pour l’été. Elles produisent un mouvement
inattendu, mais pas si paradoxal, en poussant les Américains vers les
livres et les bibliothèques.
Cette réaction est largement le fruit d’un choc et d’une
incompréhension face à la violence de l’actualité politique quotidienne.
Les va-et-vient autour du «Muslim Ban» et les multiples contradictions
internes de l’administration, la menace d’une suppression de l’assurance
santé pour des millions d’Américains, l’accélération des expulsions
d’immigrés, l’explosion du budget de la défense (54 milliards de dollars
- soit environ 50 milliards d’euros - d’augmentation demandés au
Congrès) créent un climat particulièrement anxiogène. Refuge, le livre
fournit des repères, il est l’outil par excellence qui permet de mieux
comprendre une société chaque matin malmenée.
La vedette, c’est bien sûr 1984 (1949) de George Orwell,
décrivant un monde où le nouveau pouvoir a institué une langue réduite
au minimum et un ministère de la vérité, aidé par la police de la
pensée. Quelques jours après que Kellyanne Conway, conseillère du
président, a utilisé l’expression «faits alternatifs» lors d’un
entretien télévisé, la fable d’Orwell figurait en première position
dans le classement des meilleures ventes sur Amazon.com, obligeant
l’éditeur Penguin à tirer 75 000 exemplaires dans la semaine.
Contrairement à une rumeur persistante, 1984 ne contient pas l’expression «alternative facts», mais propose bien la même idée : «And if the facts say otherwise then the facts must be altered» («Et si les faits disent autre chose alors il faut les modifier»).
Ce succès spectaculaire, qui a également profité à un autre roman d’Orwell, la Ferme des animaux, s’inscrit dans un regain d’intérêt général pour la dystopie, dans les librairies comme à l’université. Dans la même semaine, Impossible ici (1935) de Sinclair Lewis, le Meilleur des mondes (1932), d’Aldous Huxley et Fahrenheit 451 (1953) de Ray Bradbury se retrouvaient respectivement à la 5e, 6e et 7e place. A noter : en 2013, au lendemain des premières fuites de la NSA, 1984 avait
connu une augmentation de 10 000 % de ses ventes. Dites-moi ce que vous
lisez, je vous dirai dans quelle société vous vivez.
Il n’aura échappé à personne que tous ces livres ont été écrits
autour de la Seconde Guerre mondiale, et qu’ils répondent tous à
l’angoisse d’un monde totalitaire - la dernière livraison du Los Angeles Review of Books vient d’ailleurs de consacrer sa une à une relecture des Origines du totalitarisme d’Hannah Arendt. Et je ne serais pas surprise de voir LTI : la langue du Troisième Reich, de Victor Klemperer, publié en 1947, analyse de la langue nazie, profiter de ce mouvement.
Même si tout le monde comprend d’instinct le rapport intime entre la
pauvreté d’une langue et la violence politique, rien ne remplace une
étude philologique en règle. Le trumpisme a besoin de son Klemperer -
dont le livre n’a été traduit en anglais qu’en 2000.
Parmi les livres plus récents, à côté du Complot contre l’Amérique (2004) de Philippe Roth, un autre best-seller, American Psycho (1991) de Bret Easton Ellis, a fait un retour en force. Rappelez-vous. Patrick Bateman est cet insupportable yuppy
de Wall Street, obsédé par l’image et les marques, qui tourne au serial
killer. Son héros, son dieu qu’il rêve d’approcher ? Donald Trump, cité
trente fois dans le roman. Le trumpisme, rejeton de la pensée fasciste
et de l’obscénité narcissique des années 80, aurait-il trouvé là sa
définition ?
Qu’on ne s’y trompe pas pour autant. Au jour de la remise de cet
article (19 mars), le numéro 1 des ventes sur Amazon.com est le livre de
Michael J. Knowles, Reasons To Vote For Democrats : A Comprehensive Guide.
On pourrait s’en réjouir. Sauf que l’ouvrage, canular conservateur, ne
contient que des pages blanches. Enfin un livre de chevet pour le
président.
Cette chronique est assurée en alternance par Serge Gruzinski, Sophie Wahnich, Johann Chapoutot et Laure Murat.
Trump attaque Berlin sur ses dépenses militaires
(mis à jour à )
—
Le président américain Donald Trump s’est livré à une diatribe contre
l’Allemagne samedi affirmant que Berlin devait payer plus pour profiter
du parapluie protecteur de l’Otan et de Washington.
L’Allemagne
«doit d’énormes sommes d’argent» à l’Otan et aux Etats-Unis qui lui
«fournissent une défense très puissante et très coûteuse», a tweeté le
président moins de 24 heures après sa première rencontre en personne
avec la Chancelière allemande Angela Merkel à la Maison Blanche.
Dans
deux tweets, le président américain écrit que «l’Allemagne doit
d’énormes sommes d’argent à l’Otan et les Etats-Unis doivent être plus
payés pour la défense très puissante et très coûteuse qu’ils fournissent
à l’Allemagne!».
Dans son premier tweet il avait commencé par
affirmer avoir eu une «EXCELLENTE» rencontre avec Mme Merkel vendredi à
Washington, contrairement à ce que de nombreux observateurs ont vu comme
une réunion tendue qui a souligné les divergences entre les deux
dirigeants en particulier en matière de commerce ou d’immigration.
«En
dépit de ce que vous avez entendu de la part des FAUSSES NOUVELLES.
J’ai eu une EXCELLENTE rencontre avec la Chanclière Angela Merkel», a
écrit le président depuis sa luxueuse résidence de Floride où il passe
le week-end avant de se lancer dans son attaque en règle des dépenses
militaires de Berlin.
- Coupes budgétaires -
Pourtant Mme
Merkel avait assuré le président américain que l’Allemange allait monter
à 2% de son PIB la part de dépenses militaires lors de leur première
rencontre en personne vendredi.
«Nous nous engageons aujourd’hui à
cet objectif de 2% (du produit intérieur brut, NDLR) jusqu’en 2024»,
contre 1,2% actuellement, a-t-elle déclaré au cours d’une conférence de
presse commune, qui a souligné un peu plus les divergences entre les
deux dirigeants.
Le gouvernement allemand n’a pas souhaité réagir
samedi et un porte-parole a renvoyé aux propos de Mme Merkel pendant la
conférence de presse.
Le reproche de M. Trump n’est pas nouveau,
il en avait fait un slogan de campagne soulignant que les Etats-Unis,
qui dépensent un peu plus de 3% de leur PIB dans la défense, portait une
trop grande part du fardeau financier que représente l’Alliance
atlantique.
La réthorique de campagne de M. Trump a néanmoins fait
de l’effet et ramené le sujet du financement sur le devant de la scène
parmis les membres de l’Alliance, qui ont procédé pendant des années à
des coupes dans les budgets militaires.
Deux anciens ambassadeurs
américains auprès de l’Alliance sous l’administration Obama, ont
entrepris de démonter la logique de M. Trump.
«Il ne s’agit pas
d’un document comptable avec une colonne crédit et une colonne débit. Il
s’agit d’un programme d’investissement sur 10 ans et les alliés font
des progrès, lentement», a expliqué Douglas Lute, lors d’un entretien
avec l’AFP.
«Il ne s’agit pas là d’une transaction financière,
dans laquelle les pays de l’Otan payeraient les Etats-Unis pour les
défendre, il s’agit de notre engagement par un traité», a renchéri Ivo
Daalder, dans une dizaine de tweets.
«Les Etats-Unis sont
lourdement engagés militairement dans l’Otan. Mais ce n’est pas poour
faire plaisir à l’Europe. C’est vital pour notre propre sécurité»,
a-t-il souligné.
Les menaces voilées du candidat Trump ont eu
d’autant plus de portée que l’Alliance est confrontée à ce qu’elle
perçoit comme une posture de plus en plus agressive de la part de la
Russie, après l’annexion de la Crimée en 2014 et avec le soutien apporté
aux rebelles dans l’est de l’Ukraine.
Suite à l’annexion de la
Crimée, les Etats membres de l’Otan avaient convenu d’augmenter leurs
dépenses militaires au sein de l’Alliance sur 10 ans pour qu’elles
atteignent 2% de leur Produit intérieur brut (PIB) en 2024.
Le PIB
des Etats-Unis représente 46% des richesses nationales cumulées des
pays alliés, mais leurs dépenses militaires (679 milliards de dollars en
2016) pèsent 68% du total des budgets de défense des 28 pays membres.
Hormis
les Etats-Unis (3,36% du PIB), seuls le Royaume-Uni (2,17%), la Pologne
(2,01%), l’Estonie (2,18% du PIB) et la Grèce (2,36%) atteignent
l’objectif solennellement réaffirmé en 2014 par les dirigeants de
l’Otan, selon les estimations de l’Otan pour 2016.
New Left Review 103, January-February 2017
MIKE DAVIS
ELECTION 2016
We
should resist the temptation to over-interpret Trump’s election
victory. Progressives who think they’ve woken up in another country
should calm down, take a stiff draught and reflect on the actual results
from the swing states. First, with the exceptions of Iowa and Ohio,
there were no Trump landslides in key states. He merely did as well as
Mitt Romney had in 2012, compensating for smaller votes in the suburbs
with larger votes in rural areas to achieve the same overall result. His
combined margin of victory in Wisconsin, Michigan and Pennsylvania was
razor thin, under 78,000 votes. The surprise of the election was not a
huge white working-stiff shift to Trump but rather his success in
retaining the loyalty of Romney voters, and indeed even slightly
improving on the latter’s performance amongst evangelicals. Thus
economic populism and nativism potently combined with, but did not
displace, the traditional social conservative agenda.
A
key factor was Trump’s cynical covenant with religious conservatives
after their own candidate in the primaries, Ted Cruz, dropped out in
May. He gave them a free hand to draft the party platform at the
Convention and then married one of their popular heroes, Mike Pence of
Indiana, a nominal Catholic who attends an evangelical megachurch. At
stake, of course, was control of the Supreme Court and a final chance to
reverse Roe vs Wade. This may explain why Clinton, who unlike Obama
allowed herself to be identified with late-term abortions,
underperformed him amongst Latina/Latino Catholics by a margin of 8
points or more.
The
defection of white working-class Obama voters to Trump was a decisive
factor mainly in a lakeshore rim of industrial counties in Ohio and
Pennsylvania—Ashtabula, Lorain, Erie and so on—which are experiencing a
new wave of job flight to Mexico and the Southern states. This region is
the epicentre of the revolt against globalization. In other depressed
areas—the coal counties of southeastern Ohio, the former anthracite belt
of eastern Pennsylvania, the Kanawha Valley of West Virginia, the
piedmont textile and furniture towns of the Carolinas, Appalachia in
general—the pro-Republican blue-collar realignment in presidential
politics (but not necessarily in local or state politics) was already
the status quo.
The
mass media has tended to conflate these older and newer strata of ‘lost
Democrats’, thus magnifying Trump’s achievement. A fifth of Trump
voters—that is to say, approximately 12 million Americans—reported an
unfavourable attitude toward him. No wonder the polls got it so wrong.
‘There is no precedent’, wrote the Washington Post,
‘for a candidate winning the presidency with fewer voters viewing him
favourably, or looking forward to his administration, than the loser.’
It will be interesting to see if a disaggregation of this segment of the
Trump vote is possible.
Losing the Midwest
Even
the Cato Institute seems to believe that the election must be
interpreted as Clinton’s loss, not Trump’s win. She failed to come close
to Obama’s 2012 performance in key Midwestern and Florida counties.
Despite his strenuous last-minute efforts, Obama could not transfer his
popularity (higher by 2016 than Reagan’s in 1988) to his old opponent.
The same went for Sanders. A crucial cohort of college-educated white
Republican women appeared to have rallied to Trump in the last week of
the campaign. This has been attributed by several commentators,
including Clinton herself, to the FBI’s
surprise intervention and renewed scepticism about her honesty. Disgust
at Trump, moreover, was counterbalanced by disgust at Bill Clinton and
Anthony Weiner. As a result, Clinton made only modest gains, sometimes
none at all, in the crucial red suburbs of Milwaukee, Philadelphia and
so on. Flush with funds, her campaign compounded a disastrous strategy.
She failed to visit Wisconsin after the Convention, despite warnings
that Scott Walker’s fired-up followers were fully enlisted behind Trump.
Likewise she disdained Agriculture Secretary Tom Vilsack’s advice that
she set up a ‘rural council’ such as had served Obama so well in his
Midwestern primary and presidential campaigns. In 2012, he managed to
add 46 per cent of the small-town vote to his urban majority in Michigan
and 41 per cent in Wisconsin. Her desultory results were 38 per cent
and 34 per cent, respectively.
Although the findings are controversial, the Edison/New York Times exit
polls indicated that, relative to Romney in 2012, Trump achieved only
the slightest improvement amongst whites, perhaps just one per cent, but
‘bested him by 7 points among blacks, 8 points among Latinos and 11
points among Asian Americans’. Whether or not that was actually the
case, the lower black turnout in Milwaukee, Detroit and Philadelphia
alone would explain most of Clinton’s defeat in the Midwest, as would
the lack of enthusiasm amongst millennials in Wisconsin—where Jill
Stein’s vote was larger than Trump’s margin of victory. In south Florida
a massive effort improved the Democratic vote, but was offset by
reduced turnout (largely black voters) in the Tallahassee, Gainesville
and Tampa areas. Voter suppression undoubtedly played a role: Louisiana,
Alabama, Texas and Arizona all reduced the number of voting locations.
There is also evidence that discriminatory voter ID requirements—the jewel in the crown of Scott Walker’s counter-revolution— significantly depressed the vote in low-income precincts of Milwaukee.
David
Axelrod claimed that it took only a week for the Republicans to fully
‘capture’ Trump after 8 November. Perhaps. Certainly, Trump will attempt
to honour his commitment to the Christians and give them the Supreme
Court. Likewise Peabody, Arch and the other coal companies will get new
permits to destroy the Earth, immigrants will be sacrificed to the
lions, and Pennsylvania will be blessed with a right-to-work law. And,
of course, tax cuts. But on social security, Medicare, deficit spending
on infrastructure, tariffs, technology and so on, it’s almost impossible
to imagine a perfect marriage between Trump and the institutional
Republicans that doesn’t orphan his working-class supporters. This
points to the real shift in American politics: the Sanders campaign. The
downward economic mobility of graduates, especially from working-class
and immigrant backgrounds, is the major emergent social reality, not the
plight of the Rustbelt—even recognizing the momentum given to economic
nationalism by the loss of five million industrial jobs over the last
decade, more than half of them in the South. But Trumpism, however it
evolves, cannot unify millennial economic distress with that of older
white workers, while Sanders showed that heartland discontent can be
brought under the umbrella of a ‘democratic socialism’ that reignites
New Deal hopes for fundamental economic rights. With the Democratic
establishment in temporary disarray, the real opportunity for
transformational political change (‘critical realignment’, in a now
archaic vocabulary) belongs to Sanders and Warren.
En Californie, la tactique de la résistance étatique
En s’apprêtant à interdire à ses forces de l’ordre de coopérer avec les agents fédéraux de l’immigration, l’Etat devient le fer de lance de l’opposition à Trump.
En début de semaine, Kevin de León est sorti du Sénat
californien avec sa mine des mauvais jours. Son texte de loi censé
lutter contre les mesures anti-immigration de Donald Trump, baptisé
California Values Act, venait d’être vivement discuté au Capitole de
Sacramento, la capitale de l’Etat. Dans le cadre d’une audition intense,
des témoins s’y sont empoignés, brandissant ici la menace «d’une invasion d’étrangers», jouant là sur l’émotion avec le récit d’une détention à Noël, «la peur au ventre d’être expulsé».
Ce texte, qui ferait de la Californie un Etat sanctuaire en interdisant notamment aux forces de l’ordre locales de collaborer avec les agents de l’immigration fédérale (ICE), devrait être voté dans le mois qui vient. En le présentant, le chef démocrate de la Chambre haute californienne est devenu l’un des chefs de file de la résistance anti-Trump. Car à Washington, où la délégation démocrate californienne est la plus nombreuse avec ses deux sénatrices et ses 38 députés, la résistance s’annonce très compliquée, même si les démocrates ont promis de montrer les crocs, notamment face à la proposition de budget de Trump, qui s’attaque avec une rare violence aux pauvres, aux solidarités, aux étrangers. «Nous n’avons pas le Sénat, nous n’avons pas l’Assemblée, nous n’avons pas la Maison Blanche… Il va falloir se battre», a ainsi rappelé la nouvelle sénatrice Kamala Harris.
En vertu de son texte, c’est seulement pour les cas de «criminels violents» visés par un mandat judiciaire que les autorités locales pourront coopérer avec les fédérales. Sur ce sujet, il est loin d’être le seul à mener le combat. Pour George Gascón, procureur de San Francisco, l’enjeu consistant à «préserver la sécurité publique» s’analyse sous un autre angle. «Quand les victimes de crimes ne viennent plus témoigner de peur de se faire expulser, l’impact sur la sécurité publique dépasse le cercle des immigrés», estime-t-il.
Dans sa ville, le refus d’obéir systématiquement aux agents fédéraux est déjà à l’œuvre depuis de nombreuses années. San Francisco, Los Angeles et Sacramento font ainsi partie des «villes sanctuaires» qui se multiplient avec l’arrivée de Trump au pouvoir, ces villes où les autorités locales ne coopèrent pas avec l’ICE. Le chef de la police de Los Angeles, Charlie Beck, a d’ailleurs confirmé qu’il ne comptait pas gaspiller ses effectifs pour mettre en œuvre la politique du Président.
Pourtant, c’est bien ce que Trump veut faire, comme le montre sa proposition de budget 2018 qui inclut le financement du mur avec le Mexique pour un montant de 2,6 milliards de dollars. Un projet contre lequel un autre sénateur californien, Ricardo Lara, a déjà dégainé. Dans un package de lois, il propose de soumettre à un référendum la construction du mur, dont une partie se situerait en Californie et aurait donc un impact sur ses habitants et son environnement. Le texte comprend aussi un volet visant à «interdire aux autorités locales de coopérer avec les agences fédérales qui cherchent à établir un registre de la population basé sur la religion, les origines nationales ou ethniques», explique son porte-parole. Cette loi (Religious Freedom Act) vient d’être validée par un comité cette semaine. Une petite victoire pour les démocrates californiens dans une bataille de longue haleine.
Ce texte, qui ferait de la Californie un Etat sanctuaire en interdisant notamment aux forces de l’ordre locales de collaborer avec les agents de l’immigration fédérale (ICE), devrait être voté dans le mois qui vient. En le présentant, le chef démocrate de la Chambre haute californienne est devenu l’un des chefs de file de la résistance anti-Trump. Car à Washington, où la délégation démocrate californienne est la plus nombreuse avec ses deux sénatrices et ses 38 députés, la résistance s’annonce très compliquée, même si les démocrates ont promis de montrer les crocs, notamment face à la proposition de budget de Trump, qui s’attaque avec une rare violence aux pauvres, aux solidarités, aux étrangers. «Nous n’avons pas le Sénat, nous n’avons pas l’Assemblée, nous n’avons pas la Maison Blanche… Il va falloir se battre», a ainsi rappelé la nouvelle sénatrice Kamala Harris.
«Rafle»
Avec ses mesures anti-immigration qui viennent de se heurter, une fois de plus, à la décision d’un juge fédéral, «le président a confirmé nos pires cauchemars», dit Kevin de León, issu des quartiers Est de Los Angeles. Conscient des peurs face aux questions de criminalité, il recentre le débat sur l’économie. A ses yeux, Trump «ne va pas se concentrer sur les criminels comme il l’a promis durant sa campagne. Au lieu de ça, sa politique d’expulsion sera une rafle à l’encontre de milliers, si ce n’est de millions d’immigrés qui travaillent dur». Dans un Etat au plein-emploi qui s’est hissé au 6e rang de l’économie mondiale, De León souligne que les immigrés, même «illégaux», constituent une part importante de la main-d’œuvre dans l’agriculture, le bâtiment, la restauration… Et la high-tech. «J’essaie de protéger notre économie», résume l’élu, dont la mère a immigré aux Etats-Unis sans papiers et y est devenue femme de ménage.En vertu de son texte, c’est seulement pour les cas de «criminels violents» visés par un mandat judiciaire que les autorités locales pourront coopérer avec les fédérales. Sur ce sujet, il est loin d’être le seul à mener le combat. Pour George Gascón, procureur de San Francisco, l’enjeu consistant à «préserver la sécurité publique» s’analyse sous un autre angle. «Quand les victimes de crimes ne viennent plus témoigner de peur de se faire expulser, l’impact sur la sécurité publique dépasse le cercle des immigrés», estime-t-il.
Dans sa ville, le refus d’obéir systématiquement aux agents fédéraux est déjà à l’œuvre depuis de nombreuses années. San Francisco, Los Angeles et Sacramento font ainsi partie des «villes sanctuaires» qui se multiplient avec l’arrivée de Trump au pouvoir, ces villes où les autorités locales ne coopèrent pas avec l’ICE. Le chef de la police de Los Angeles, Charlie Beck, a d’ailleurs confirmé qu’il ne comptait pas gaspiller ses effectifs pour mettre en œuvre la politique du Président.
«Pistolet»
Dernière ville en date à avoir adopté ce statut : Santa Ana, au sud de Los Angeles. Cette commune à large population hispanique a, depuis, subi l’ire de l’administration fédérale, qui lui a coupé les vivres en interrompant un contrat avec un lieu de détention municipal. Pas étonnant, dans la mesure où Trump a menacé la Californie de représailles budgétaires pour ces actes de résistance qu’il juge «ridicules». «Si on doit le faire, on leur ôtera les financements, a-t-il précisé à Fox News. Nous donnons des sommes phénoménales à la Californie.» De facto, le locataire de la Maison Blanche a bel et bien signé un décret autorisant l’assèchement des caisses des villes sanctuaires, contre lequel San Francisco a porté plainte, le jugeant anticonstitutionnel. Pour l’avocat de la ville, Dennis Herrera, «on ne peut pas mettre le pistolet sur la tempe des Etats et des localités pour les forcer à appliquer ce qui est décidé au niveau fédéral».Pourtant, c’est bien ce que Trump veut faire, comme le montre sa proposition de budget 2018 qui inclut le financement du mur avec le Mexique pour un montant de 2,6 milliards de dollars. Un projet contre lequel un autre sénateur californien, Ricardo Lara, a déjà dégainé. Dans un package de lois, il propose de soumettre à un référendum la construction du mur, dont une partie se situerait en Californie et aurait donc un impact sur ses habitants et son environnement. Le texte comprend aussi un volet visant à «interdire aux autorités locales de coopérer avec les agences fédérales qui cherchent à établir un registre de la population basé sur la religion, les origines nationales ou ethniques», explique son porte-parole. Cette loi (Religious Freedom Act) vient d’être validée par un comité cette semaine. Une petite victoire pour les démocrates californiens dans une bataille de longue haleine.
«Notre lutte ne sera pas un sprint, mais un marathon»
Partout à travers le pays, de nombreux mouvements citoyens s’organisent pour s’opposer à la politique de Trump et interpeller les élus, républicains comme démocrates.
Ce lundi de février, vers 18 heures, la file d’attente
s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. Mères de famille, jeunes
hipsters barbus, personnes âgées, femmes voilées : des centaines de
New-Yorkais de tous âges se pressent dans le froid pour accéder à la
synagogue Beth Elohim. Située dans le quartier de Park Slope, à
Brooklyn, cette congrégation réformiste fondée il y a plus de
cent cinquante ans s’est imposée ces derniers mois comme l’un des
berceaux de la contestation anti-Trump.
Ce soir-là, le groupe Get Organized Brooklyn y tient sa cinquième réunion d’action. Objectif : réfléchir aux moyens de résister aux politiques du nouveau locataire de la Maison Blanche. Faute de place, plusieurs centaines de personnes se voient refuser l’accès à la synagogue. A l’intérieur, la salle de prière et l’immense balcon qui la surplombe sont pleins à craquer. Serrés sur les bancs en bois, plus d’un millier d’habitants de New York écoutent attentivement Rachel Timoner, la femme rabbin qui dirige la congrégation. «Nous sommes ici pour trouver notre mission. Nous sommes trop nombreux pour être stoppés. Nous allons résister», tonne cette femme de 45 ans, déclenchant les applaudissements de la foule. Par moments, le rassemblement prend des airs de thérapie de groupe pour des électeurs démocrates encore sous le choc de l’élection de Trump.
Habitante du quartier depuis des décennies, Iva Kravitz est justement venue chercher des informations sur l’un des modes d’action préférés des militants anti-Trump : le harcèlement des élus locaux. Cette designeuse a déjà contacté à plusieurs reprises, par courrier et téléphone, le bureau de son sénateur, le démocrate Chuck Schumer, afin de réclamer une opposition frontale à Trump et aux républicains. «Je souhaite récupérer un modèle de lettre ou un script d’appel téléphonique que je pourrais transmettre à ma famille dans l’Ohio, afin qu’ils contactent leur sénateur républicain», explique l’élégante sexagénaire.
Pour éviter les questions qui fâchent et de telles images, des dizaines de députés et de sénateurs préfèrent rester cachés, donnant lieu parfois à des situations cocasses.
A Miami, des militants anti-Trump ont par exemple placardé, le mois dernier, à travers la ville, des affichettes «Missing» («porté disparu») avec la photo du sénateur local, Marco Rubio. Officiellement en déplacement en Europe, ce dernier a pourtant été débusqué par un militant, d’abord dans une université de Floride, puis dans un hôpital. La vidéo de leur rencontre, avec un Rubio visiblement gêné et pressant le pas, s’est aussitôt retrouvée sur Facebook. Réélu en novembre pour un mandat de six ans, le sénateur peut se permettre de laisser passer l’orage. Mais les 435 membres de la Chambre des représentants, dont le poste est remis en jeu tous les deux ans, ne disposent pas d’un tel luxe. La brièveté de leur mandat fait d’eux des politiciens en campagne permanente, et donc très soucieux à leur image.
Par groupes de deux ou trois, ils frappent à la porte du bureau du représentant. Un employé, aimable mais visiblement mal à l’aise, entrouvre la porte. «Bonjour, je m’appelle Gregory Manore, je suis un bénéficiaire de l’Affordable Care Act [la loi sur l’assurance-maladie d’Obama, ndlr] et je voudrais savoir quelles sont les intentions de M. Trott sur ce sujet», lui demande le premier visiteur. Réponse polie mais évasive. Gregory donne sa carte de Saint-Valentin et y ajoute son numéro de téléphone. En 2014, ce trentenaire a perdu son emploi dans une entreprise d’études de marché - et l’assurance santé qui allait avec. Depuis, il fournit ses services de support technique en tant que travailleur indépendant, ce qui l’oblige à souscrire sa propre assurance santé. «Je souffre de dépression depuis cinq ans. Je bénéficie d’une aide publique pour mon assurance. Si l’Obamacare était abrogée par les républicains, cela deviendrait quasiment impossible pour moi de m’assurer, explique l’homme au visage rondouillard à la sortie du bâtiment. Jamais je ne m’étais déplacé au bureau de mon élu local. C’est une première pour moi. Il faut qu’il sache que si l’Obamacare est abrogée, les gens vont souffrir.»
Mi-février, le Congrès n’était pas en session à Washington, une période souvent mise à profit par les élus locaux pour revenir dans leur circonscription. Comme Gregory Manore, des centaines d’électeurs du onzième district du Michigan espéraient que David Trott accepterait enfin de les rencontrer. Au lieu de ça, le congressman a choisi de participer au voyage d’une délégation parlementaire en Inde. En réponse, les militants, qui l’ont baptisé «Chicken Trott» («Trott la poule mouillée»), ont organisé une réunion publique le 23 février. Et placé un poulet vivant derrière un écriteau «David Trott». Le refus de ce dernier de participer à une table ronde a fait l’objet d’articles - parfois cinglants - dans les médias locaux. «Vous pouvez vous cacher à Bombay en février, mais tôt ou tard, même l’élu le plus allergique à la confrontation doit rentrer chez lui et regarder ses anciens voisins dans les yeux», a écrit un éditorialiste du quotidien de Detroit. Contactée à plusieurs reprises par Libération, l’équipe de Trott n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Mais selon des sources à Washington, la pression citoyenne et médiatique commencerait à inquiéter sérieusement le républicain de 56 ans.
Huit ans plus tard, une partie de la base démocrate espère dupliquer ce scénario en 2018, en forçant leur parti à virer plus à gauche et en faisant payer à des élus républicains leur soutien à la politique du Président. Trump serait-il en train de donner naissance à un «Tea Party de gauche» ? «Cette appellation ne me pose aucun problème, tant que les gens comprennent que nous défendons des valeurs totalement différentes. Cela montre que nous avons appris de ces gens-là, même s’ils sont différents de nous», explique Peter Martin, fondateur du groupe Indivisible Brooklyn. Le terme «indivisible» fait référence au Indivisible Guide, un guide pratique «pour résister au programme de Trump» écrit par d’anciens collaborateurs d’élus démocrates (lire encadré page 5).
Impliquée dans le mouvement Black Lives Matter, Sara Sheehan, 30 ans, prône une opposition systématique à Trump et aux républicains. «On ne combat pas seulement contre un seul homme, mais contre une idéologie régressive portée par ce parti», souligne cette employée d’une start-up. Plusieurs fois par semaine, elle appelle le bureau du sénateur démocrate Chuck Schumer, dont elle redoute qu’il soit parfois «prêt au compromis» avec la Maison Blanche : «Nous ne pouvons pas accepter cela. Il faut qu’il comprenne que s’il fait le moindre pas envers Trump, il devra s’inquiéter pour sa prochaine campagne.» Ce jusqu’au-boutisme de nombreux électeurs démocrates illustre le défi, autant moral que politique, lancé aux caciques d’un parti laminé lors des dernières élections. Pendant des années, ces derniers n’ont cessé de dénoncer l’obstructionnisme permanent des républicains contre l’administration Obama. Aujourd’hui, nombre d’électeurs leur demandent d’en faire autant. «Bien sûr, cela peut sembler hypocrite. Je ne sais pas si c’est la meilleure stratégie mais pour l’heure, je n’en vois pas d’autre, explique Sara. Il existe quand même une différence fondamentale entre les républicains et nous. Pendant des années, ils ont empêché le pays d’aller vers l’avant. Nous, on essaie de l’empêcher de reculer.»
Ce soir-là, le groupe Get Organized Brooklyn y tient sa cinquième réunion d’action. Objectif : réfléchir aux moyens de résister aux politiques du nouveau locataire de la Maison Blanche. Faute de place, plusieurs centaines de personnes se voient refuser l’accès à la synagogue. A l’intérieur, la salle de prière et l’immense balcon qui la surplombe sont pleins à craquer. Serrés sur les bancs en bois, plus d’un millier d’habitants de New York écoutent attentivement Rachel Timoner, la femme rabbin qui dirige la congrégation. «Nous sommes ici pour trouver notre mission. Nous sommes trop nombreux pour être stoppés. Nous allons résister», tonne cette femme de 45 ans, déclenchant les applaudissements de la foule. Par moments, le rassemblement prend des airs de thérapie de groupe pour des électeurs démocrates encore sous le choc de l’élection de Trump.
Aide aux immigrés
Une dizaine de jours plus tôt, le nouveau président a signé plusieurs décrets anti-immigration, dont celui bloquant temporairement les ressortissants de sept pays à majorité musulmane (suspendu depuis par la justice et remplacé début mars par une nouvelle version, elle-même bloquée ce mercredi), et un autre appelant à l’accélération des expulsions. A New York, cité la plus cosmopolite du monde où vivent plus d’un demi-million de personnes en situation irrégulière, ces deux décisions touchent une corde particulièrement sensible. Sur la scène de la synagogue, située à l’avant de la salle, la soirée débute d’ailleurs par une table ronde sur l’immigration. «Nous allons vivre quatre très longues années», prévient Elizabeth Plum, l’une des responsables de la New York Immigration Coalition, qui regroupe plus de 200 associations d’aide aux immigrés : «Un incroyable mouvement de solidarité et de résistance a émergé. Le défi va être de l’entretenir. Car notre lutte ne sera pas un sprint, mais un marathon.» A l’assistance, elle donne un premier conseil très concret : privilégier les dons aux petites associations locales, «qui sont en première ligne dans le combat mais jamais mentionnées dans les journaux». A l’issue de la table ronde, la soirée se poursuit dans le sous-sol de la synagogue, où les salles de classe occupées habituellement par les enfants de l’école hébraïque accueillent chacune un groupe de travail thématique : solidarité avec les immigrés, lutte contre l’islamophobie et l’antisémitisme, changement climatique, défense des programmes sociaux, etc. Dans chaque pièce, une vingtaine de militants discutent des différentes actions à mener et des méthodes pour se faire entendre, notamment par le Congrès.Habitante du quartier depuis des décennies, Iva Kravitz est justement venue chercher des informations sur l’un des modes d’action préférés des militants anti-Trump : le harcèlement des élus locaux. Cette designeuse a déjà contacté à plusieurs reprises, par courrier et téléphone, le bureau de son sénateur, le démocrate Chuck Schumer, afin de réclamer une opposition frontale à Trump et aux républicains. «Je souhaite récupérer un modèle de lettre ou un script d’appel téléphonique que je pourrais transmettre à ma famille dans l’Ohio, afin qu’ils contactent leur sénateur républicain», explique l’élégante sexagénaire.
Foule hostile
Depuis des semaines, les élus du Grand Old Party sont devenus une cible prioritaire. Leurs bureaux à Washington et dans les circonscriptions croulent sous les appels, les lettres et les visites. Et à chacune de leurs réunions publiques, ils reçoivent un accueil musclé de la part de leurs administrés, qui les apostrophent sur de nombreux sujets sensibles : le plan pour remplacer l’Obamacare, les liens de l’équipe Trump avec la Russie, ou la protection de l’environnement… Filmées au téléphone portable, les vidéos d’élus confrontés à une foule hostile, quittant parfois la salle précipitamment, se retrouvent instantanément sur les réseaux sociaux et les télévisions locales.Pour éviter les questions qui fâchent et de telles images, des dizaines de députés et de sénateurs préfèrent rester cachés, donnant lieu parfois à des situations cocasses.
A Miami, des militants anti-Trump ont par exemple placardé, le mois dernier, à travers la ville, des affichettes «Missing» («porté disparu») avec la photo du sénateur local, Marco Rubio. Officiellement en déplacement en Europe, ce dernier a pourtant été débusqué par un militant, d’abord dans une université de Floride, puis dans un hôpital. La vidéo de leur rencontre, avec un Rubio visiblement gêné et pressant le pas, s’est aussitôt retrouvée sur Facebook. Réélu en novembre pour un mandat de six ans, le sénateur peut se permettre de laisser passer l’orage. Mais les 435 membres de la Chambre des représentants, dont le poste est remis en jeu tous les deux ans, ne disposent pas d’un tel luxe. La brièveté de leur mandat fait d’eux des politiciens en campagne permanente, et donc très soucieux à leur image.
«Chicken Trott»
Dans le onzième district du Michigan, qui englobe plusieurs villes situées à l’ouest de Detroit, le républicain David Trott a été réélu en novembre avec 53 % des voix. Depuis des mois, il n’a participé à aucune réunion publique, aucune table ronde dans sa circonscription, malgré les demandes répétées de nombreux habitants. Ulcérés, ces derniers ont créé un site internet baptisé «Où est Dave Trott ?». Ils multiplient les appels et les lettres à son intention. Et chaque semaine, ils se rassemblent devant son bureau, dans la petite ville de Troy. Mardi 14 février, ils sont une trentaine de manifestants, surveillés du coin de l’œil par une voiture de police. Tous ont préparé des cartes de Saint-Valentin, manière humoristique de signifier à leur élu local qu’ils pensent à lui et s’inquiètent de son absence prolongée.Par groupes de deux ou trois, ils frappent à la porte du bureau du représentant. Un employé, aimable mais visiblement mal à l’aise, entrouvre la porte. «Bonjour, je m’appelle Gregory Manore, je suis un bénéficiaire de l’Affordable Care Act [la loi sur l’assurance-maladie d’Obama, ndlr] et je voudrais savoir quelles sont les intentions de M. Trott sur ce sujet», lui demande le premier visiteur. Réponse polie mais évasive. Gregory donne sa carte de Saint-Valentin et y ajoute son numéro de téléphone. En 2014, ce trentenaire a perdu son emploi dans une entreprise d’études de marché - et l’assurance santé qui allait avec. Depuis, il fournit ses services de support technique en tant que travailleur indépendant, ce qui l’oblige à souscrire sa propre assurance santé. «Je souffre de dépression depuis cinq ans. Je bénéficie d’une aide publique pour mon assurance. Si l’Obamacare était abrogée par les républicains, cela deviendrait quasiment impossible pour moi de m’assurer, explique l’homme au visage rondouillard à la sortie du bâtiment. Jamais je ne m’étais déplacé au bureau de mon élu local. C’est une première pour moi. Il faut qu’il sache que si l’Obamacare est abrogée, les gens vont souffrir.»
Mi-février, le Congrès n’était pas en session à Washington, une période souvent mise à profit par les élus locaux pour revenir dans leur circonscription. Comme Gregory Manore, des centaines d’électeurs du onzième district du Michigan espéraient que David Trott accepterait enfin de les rencontrer. Au lieu de ça, le congressman a choisi de participer au voyage d’une délégation parlementaire en Inde. En réponse, les militants, qui l’ont baptisé «Chicken Trott» («Trott la poule mouillée»), ont organisé une réunion publique le 23 février. Et placé un poulet vivant derrière un écriteau «David Trott». Le refus de ce dernier de participer à une table ronde a fait l’objet d’articles - parfois cinglants - dans les médias locaux. «Vous pouvez vous cacher à Bombay en février, mais tôt ou tard, même l’élu le plus allergique à la confrontation doit rentrer chez lui et regarder ses anciens voisins dans les yeux», a écrit un éditorialiste du quotidien de Detroit. Contactée à plusieurs reprises par Libération, l’équipe de Trott n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Mais selon des sources à Washington, la pression citoyenne et médiatique commencerait à inquiéter sérieusement le républicain de 56 ans.
«Tea party de gauche»
Cette résistance anti-Trump déclinée à l’échelon local a un air de déjà-vu. En 2009, après l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, des dizaines de milliers d’Américains ultraconservateurs s’étaient organisés spontanément pour combattre certaines de ses réformes, à commencer par celle de l’assurance-maladie. Lors de réunions publiques tendues, ils avaient harcelé leurs élus afin qu’ils n’acceptent aucun compromis avec l’administration démocrate. La stratégie de ce mouvement, devenu le fameux Tea Party, avait été payante, permettant au Parti républicain de remporter la majorité à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat de 2010.Huit ans plus tard, une partie de la base démocrate espère dupliquer ce scénario en 2018, en forçant leur parti à virer plus à gauche et en faisant payer à des élus républicains leur soutien à la politique du Président. Trump serait-il en train de donner naissance à un «Tea Party de gauche» ? «Cette appellation ne me pose aucun problème, tant que les gens comprennent que nous défendons des valeurs totalement différentes. Cela montre que nous avons appris de ces gens-là, même s’ils sont différents de nous», explique Peter Martin, fondateur du groupe Indivisible Brooklyn. Le terme «indivisible» fait référence au Indivisible Guide, un guide pratique «pour résister au programme de Trump» écrit par d’anciens collaborateurs d’élus démocrates (lire encadré page 5).
Jusqu’au-boutisme
Ce dimanche soir, le groupe se réunit dans un bar familial de Crown Heights, quartier en pleine gentrification. Dans la salle, une trentaine de militants - en majorité blancs et trentenaires - planifient la résistance autour d’une pinte de bière locale. Certains sont des activistes de longue date, membres d’associations et d’ONG; d’autres sont des citoyens lambda peu habitués aux combats politiques.Impliquée dans le mouvement Black Lives Matter, Sara Sheehan, 30 ans, prône une opposition systématique à Trump et aux républicains. «On ne combat pas seulement contre un seul homme, mais contre une idéologie régressive portée par ce parti», souligne cette employée d’une start-up. Plusieurs fois par semaine, elle appelle le bureau du sénateur démocrate Chuck Schumer, dont elle redoute qu’il soit parfois «prêt au compromis» avec la Maison Blanche : «Nous ne pouvons pas accepter cela. Il faut qu’il comprenne que s’il fait le moindre pas envers Trump, il devra s’inquiéter pour sa prochaine campagne.» Ce jusqu’au-boutisme de nombreux électeurs démocrates illustre le défi, autant moral que politique, lancé aux caciques d’un parti laminé lors des dernières élections. Pendant des années, ces derniers n’ont cessé de dénoncer l’obstructionnisme permanent des républicains contre l’administration Obama. Aujourd’hui, nombre d’électeurs leur demandent d’en faire autant. «Bien sûr, cela peut sembler hypocrite. Je ne sais pas si c’est la meilleure stratégie mais pour l’heure, je n’en vois pas d’autre, explique Sara. Il existe quand même une différence fondamentale entre les républicains et nous. Pendant des années, ils ont empêché le pays d’aller vers l’avant. Nous, on essaie de l’empêcher de reculer.»