L’espace politique chez Henri Lefebvre : l’idéologie et l’utopie
Grégory BUSQUET, UMR LAVUE (Mosaïques), Université Paris Ouest Nanterre
La pensée du philosophe et sociologue Henri Lefebvre (1901-1991) connait aujourd’hui un regain d’intérêt en France au sein des études urbaines, alors que ses théories sur la ville et la société urbaine sont discutées et amendées depuis de nombreuses années dans la littérature anglophone en sciences sociales. Ce nouvel intérêt, qui s’étend d’ailleurs à l’Europe, laisse toutefois apparaître différents usages de sa pensée : alors que certains tentent de tirer des applications pratiques et de déterminer les influences des théories lefebvriennes sur les pratiques de la « Production de l’espace » et sur les usages du « Droit à la ville » (Stanek, 2011), des exégèses, sur un mode philosophique ou biographique, laissent de côté l’objet concret de ses réflexions, à savoir les processus socio-spatiaux de l’aliénation, et font parfois fi, du même coup, de leur contexte d’énonciation (social, politique, urbanistique…) et des conditions de leur développement. Alors que certains dépolitisent sa pensée en la mettant au goût du jour (post-marxiste) et la vident de sa teneur subversive et de sa visée émancipatrice, ainsi que de toute référence au conflit et à la lutte des classes, d’autres, au contraire, surtout à l’étranger chez les tenants de la « géographie radicale » anglo-saxonne, s’inspirent de Lefebvre en veillant à ne pas dissocier leurs réflexions sur l’espace de l’analyse de classe et d’une analyse en termes politiques1.
C’est dans cette dernière perspective que cette contribution propose de s’inscrire, en replaçant la pensée lefebvrienne sur l’espace, et tout ce qu’elle peut avoir de critique, de théorique comme de pratique, au coeur de ce qui fait selon nous sa spécificité, à savoir sa relation avec le politique. Cela renverra, bien sûr, à la question de l’utopie, inhérente à la pensée lefebvrienne, mais aussi à sa critique des idéologies, et notamment de l’idéologie urbaine.
A la lecture de Lefebvre, on s’aperçoit en effet que l’engagement du penseur, ses prises de position, voire l’affirmation des moyens à mettre en oeuvre pour améliorer le cadre étudié – la réalité urbaine en rapport avec les modes de production – ne sont en aucun cas contradictoires avec le travail scientifique ou théorique. L’aspect « prospectiviste » ou « visionnaire » que certains ont cru déceler chez Lefebvre, ne fait en réalité que découler de son analyse des processus de production de l’espace, et plus précisément des liens entre rapports de production et processus d’urbanisation (Garnier, 1994 ; Costes, 2009). Des années 1960 aux années 1970, l’auteur nous a en effet fourni des outils d’analyse de la modernité et de son lot d’idéologies, tout en nous donnant les clés d’une lecture critique des rapports sociaux inhérents au capitalisme et en posant les jalons d’un devenir prévisible – ou souhaitable – de la société urbaine.
Il s’agira donc ici d’aborder les relations entre espace et politique dans l’oeuvre de Lefebvre à partir de cette critique des idéologies urbaines et à partir de l’utopie. On s’intéressera, autrement dit, aux rapports espace/politique à partir des représentations politiquement orientées de l’espace et de leurs contributions à sa production. Ceci pose la question de l’instrumentalisation politique de l’espace et, donc, du rôle et du statut de celui-ci, à la fois au sein de « l’utopie » lefebvrienne qu’il s’agira de définir, et au sein des idéologies accompagnant les processus d’urbanisation qu’il s’attacha à critiquer. C’est ainsi la question de savoir si l’espace constitue un enjeu ou s’il n’est qu’un simple instrument (ou médiateur) du changement social (dans l’utopie) ou de la préservation de l’ordre social (dans l’idéologie) qui constituera le fil conducteur de cet article.
1 Pour de plus amples développements au sujet de ces différentes formes de réception contemporaines de l’oeuvre d’Henri Lefebvre, voir : Busquet Grégory, Garnier Jean-Pierre, 2011, « Un pensamiento urbano todavía contemporáneo. Las vicisitudes de la herencia lefebvriana », Urban, NS 02, Madrid : Universidad Politécnica de Madrid, (sept) : 41-57.
Mais il est avant tout nécessaire de revenir sur ces relations entre espace et politique et sur la détermination politique de la production de l’espace dans le contexte dans lequel la pensée urbaine de Lefebvre s’est développée. Dans un second temps, seulement, nous pourrons revenir sur cette instrumentalisation politique de l’espace en deux systèmes de représentation antagonistes, à savoir au sein de l’idéologie urbanistique dominante et au sein des aspects utopistes de sa critique chez Lefebvre. Ces derniers ouvrent, on le verra, des perspectives toujours actuelles concernant la compréhension des liens unissant l’espace urbain, les groupes sociaux et la transformation démocratique de l’espace social.
Les relations entre espace et politique
Henri Lefebvre commence, dès les années 1940, à s’intéresser à la vie quotidienne dans le monde moderne, intérêt qui mènera progressivement à celui pour la ville et l’urbain. Pour lui, c’est « l’activité des individus et des groupes dans la vie de tous les jours qui fonde la pratique sociale », et c’est donc à cette activité quotidienne que le penseur se doit de réfléchir pour comprendre le monde moderne et pouvoir le changer dans une optique révolutionnaire. Philosophe d’un parti au sein duquel la doctrine officielle dénonce l’exploitation et l’aliénation des travailleurs dans l’usine, Lefebvre pose ainsi que la vie quotidienne est elle-même aliénée et aliénante, et que c’est notamment par elle que les rapports sociaux se reproduisent, dans le temps hors travail et, éventuellement, que c’est par elle également, entre autres, que le changement et la révolution prolétarienne pourront advenir (Lefebvre, 1947, 1962, 1981 et 1968).
La ville et l’habitat eux-mêmes, c’est-à-dire les décors de cette vie quotidienne où la société se produit et se reproduit, sont aliénants et ce, notamment, du fait de l’urbanisme, acte politique s’il en est, puisque par cette pratique, l’Etat et le système capitaliste organisent et rationnalisent l’espace pour la production, la circulation, la reproduction sociale (Lefebvre, 1971 ; 2000 [1974])… A travers ces réflexions sur l’urbanisme, dès la fin des années 1960, Lefebvre s’attache donc à l’analyse et à la critique de l’Etat et du mode de production capitaliste, ce qui n’est pas, en soit, une nouveauté. La nouveauté, c’est qu’il les critique dans et par l’espace, mettant du même coup en lumière l’aspect politique de l’espace urbain : comme production politique et comme instrument possible du changement.
Car si Lefebvre, théoricien de la sociologie urbaine naissante, déclare que « l’espace (social) est un produit (social) » (2000 [1974] : 35), l’espace est bien évidemment politique : il s’agit à la fois d’un produit et d’un enjeu politiques (Lefebvre, 2000 [1973]).
Un produit politique, tout d’abord, car il est la résultante de stratégies, de représentations, d’appropriations et de pratiques contradictoires, voire antagonistes (Lefebvre, 2000 [1973] : 53), qui se déroulent en fonction des modèles socio-culturels, des intérêts propres à chaque groupe et des positions sociales (de classe). Le mode de production capitaliste produisant un espace qui lui est propre, une stratégie révolutionnaire devra, selon Lefebvre, imaginer un autre mode de production de l’espace, passant par une réappropriation collective de la ville (Lefebvre, 1965 ; 1974 [1968]), passant également par une réappropriation et une libération de la vie quotidienne, ce qui n’est possible, bien sûr, que dans un mode de production non capitaliste.
L’espace est donc également un enjeu politique dans le sens où il est le support, l’instrument et un objet de luttes et de conflits (Lefebvre, 2000 [1973] : 35-36). Il existe en effet des espaces dominants et des espaces dominés. Dans la production capitaliste de l’espace social, l’espace dominé serait l’espace vécu, celui des représentations, de la vie quotidienne, relégué au second plan, alors que l’espace conçu – les représentations de l’espace – celui des concepteurs (architectes, urbanistes, décideurs) constituerait l’espace dominant (Lefebvre, 2000 [1974] : 48-49). C’est ici, pour Lefebvre, que se trouve l’enjeu d’une lutte révolutionnaire, dans l’urbain et la vie quotidienne. Mais cette domination de l’espace découle surtout de la domination liée aux rapports sociaux de productions capitalistes. Dans les années 1970, la sociologie urbaine française, à la suite de Lefebvre, commence ainsi à analyser l’espace comme support de la lutte des classes et de divisions institutionnalisées. Ces luttes pour et dans l’espace peuvent bien sûr être violentes, mais aussi symboliques, puisque l’espace est l’objet d’une concurrence entre les groupes et les classes sociales : l’espace ayant acquis une valeur marchande, les inégalités sociales se matérialisent dans l’espace, notamment entre la bourgeoisie et les classes défavorisées (la bourgeoisie gardant jusqu’à présent, pour Lefebvre, « l’initiative ») (Lefebvre, 2000 [1973] :141-160).
On pourra conclure de ces considérations que l’espace urbain est politique à plusieurs titres. Tout d’abord, il est un produit politique en tant qu’il est bien évidemment l’objet de politiques publiques : promulguer des politiques urbaines à l’échelle nationale ou locale renvoie bien sûr à la vision d’une évolution particulière et souhaitable de la société. Ensuite, du fait de ce lien entre espace et devenir social dans les représentations, il est lié à la question du pouvoir qu’il s’agit de maintenir ou de conquérir (pouvoir sur l’espace, mais aussi sur les groupes sociaux)2. Enfin, en lien, toujours, avec ces deux caractéristiques, l’espace urbain est politique car il est un enjeu de luttes (pour l’appropriation des lieux de prestige, par exemple).
Ainsi, cet espace est loin d’être un simple support neutre – ou un réceptacle – des activités sociales. Il devient un enjeu et un support de stratégies et de représentations sociales contradictoires, un support actif (induisant des tensions, représentations, pratiques, car chargé de signes et de symboles, intentionnels ou non), produit, approprié et transformé en fonction d’intérêts, de valeurs et d’idées antagonistes.
Et ces idées contradictoires liées à des intérêts divergents peuvent justement nous amener à nous interroger sur l’instrumentalisation politique de l’espace dans les idéologies urbaines, qu’a précisément tenté de décrypter Lefebvre en son temps, et à l’esprit utopiste dont il se réclame. Ceci nous permettra d’aborder plus en profondeur ces relations imbriquées entre espace urbain et politique, puisque s’intéresser aux idéologies urbaines et à l’utopie, c’est également s’intéresser à l’orientation politique des représentations sociales de l’espace, qui aboutissent à des théorisations, des pratiques, et bien évidemment à l’action publique. Et l’urbain fournit le support privilégié de systèmes de représentations de ce type.
Critique de l’idéologie urbaine
Henri Lefebvre est ainsi le premier, en France, à établir des liens entre idéologie et espace. D’autres accorderont une place importante à l’idéologie spatiale, notamment les tenants de la géographie sociale française pour lesquels idéologies et représentations sont des éléments à part entière de la constitution des territoires (Frémont et al., 1984, Di Méo, 1998, Di Méo et al., 2005). Cette géographie, également inspirée du marxisme, et qui se développe à partir des années 1960 accorde ainsi une grande place à l’analyse des représentations de l’espace, compris comme construction sociale.
Mais Lefebvre a esquissé une définition de l’idéologie qui nous est utile pour analyser la pensée urbaine depuis plus d’un demi-siècle, ne serait-ce que sa modalité réformiste en France. En 1966, il définit ainsi l’idéologie spatiale comme un système de significations de la réalité spatiale, produit d’une « stratégie politique » qui imposerait leurs représentations, voire leurs besoins et aspirations aux classes dominées (Lefebvre, 2001 [1966] : 20-22). Il existerait donc une aliénation dans l’espace, par l’idéologie spatiale, et l’espace serait aussi l’objet d’une lutte idéologique.
Lefebvre déclare également, en 1974, dans La Production de l’espace, qu’il ne peut y avoir d’idéologie pérenne sans référence à l’espace, de même que tout espace conçu est porteur d’idéologies (Lefebvre, 2000
2 Si, comme l’écrivait le géographe Yves Lacoste, la connaissance et la maîtrise de l’espace permet le maintien du pouvoir (militaire, mais aussi politique), elles permettraient également de maintenir la paix sociale (Lacoste 2012, [1976]). [1974] : 54-56) : « Ce que l’on nomme “idéologie” n’acquiert de consistance qu’en intervenant dans l’espace social, dans sa production, pour y prendre corps. » (Lefebvre, 2000 [1974] : 55). L’idéologie, tenante de la volonté et du mythe de « puissance » (Lefebvre, 1970a : 118), doit se cristalliser autour d’un lieu réel qui la véhicule (les monuments, par exemple, même si ceux-ci perdent souvent leurs significations premières avec le temps) pour devenir effective. L’idéologie peut donc être induite par l’espace, compris comme production sociale. Celui-ci engendrerait donc des idéologies tout autant qu’il pourrait être saisi par elles, et même d’une certaine manière « créé » par elles, devenant un espace répressif, l’idéologie ne pouvant advenir qu’en se référant à l’espace.
Depuis Karl Marx, puis avec les analyses du sociologue Karl Mannheim, le concept d’idéologie renvoyait à un système de représentations faussées de la réalité (la « fausse conscience »), destiné à perpétuer la reproduction et les hiérarchies sociales, se rapportant davantage aux idées conservatrices, alors que l’utopie constituait une forme de pensée ayant pour objectif le changement social (Marx, 1970 [1845], Althusser 1996 [1965], Althusser, 1976, Mannheim, 1956 [1929]). Lefebvre constate quant à lui, à la charnière des Trente glorieuses, l’émergence d’une « idéologie du changement (de la modernité) » (1974 [1968] : 144). Cette idéologie s’applique particulièrement à l’urbanisme et à l’architecture (moderne), et viserait, paradoxalement, à la préservation de l’ordre social existant. Elle constituerait donc bel et bien une idéologie, et non une utopie, même si elle a souvent été présentée comme telle. A peu près à la même époque, l’historien de l’architecture Manfredo Tafuri considérait que cette utopie promulguée par les avants-gardes n’était que l’aboutissement de l’idéologie dans le stade du capitalisme avancé, utopie qui ne ferait que masquer l’idéologie afin de la faire perdurer. L’idéologie moderniste, ainsi, se nierait tout en se perpétuant et en se reproduisant (Tafuri, 1979 [1973]). Plus généralement, l’idéologie urbaine, comme toute idéologie - mais sous couvert d’aspects utopiques, de progrès - ne ferait qu’entretenir et reproduire la domination et les divisions dans l’espace et par l’action sur l’espace.
Pour Lefebvre, la ville moderne, telle qu’elle est conçue dans les années 1950-1960, avec la standardisation de l’architecture et la rationalisation de l’aménagement, devient synonyme d’ennui (Lefebvre, 1960). Elle est surtout en train de perdre son historique « valeur d’usage », au sens de Marx, (valeur censée répondre à des besoins et à des « désirs » sociaux) et est de plus en plus soumise à la valeur d’échange (caractérisée par la marchandisation) (Lefebvre, 1974 [1968]). Lefebvre se pose en fervent critique de ce qu’il nomme « l’urbanisme technocratique ». Face à cet urbanisme moderne, qui raisonne en termes de fonctions élémentaires répondant à des besoins prédéterminés et normalisés selon les principes de la Charte d’Athènes, le sociologue Lefebvre propose de raisonner plutôt en termes de représentations, d’usages, de pratiques et d’appropriation de l’espace. Cette approche est bien sûr à cette époque étrangère à la culture de l’architecte, de l’urbaniste, du décideur, du « technocrate », artisans d’un « espace conçu », abstrait, déterminé sans prise en compte des pratiques sociales.
Quoi qu’il en soit, l’urbanisme moderne nous montre ainsi que l’idée de progrès n’est pas nécessairement liée à l’utopie et à un éventuel bien-être social, mais que le « progrès » peut au contraire être synonyme de préservation de l’existant et revêtir les habits de l’esprit de conservation. On parlera ainsi de plus en plus, pendant les années 1960 et 1970, d’idéologie moderniste, fonctionnaliste, ou encore rationaliste qui, sous couvert de progrès et de progressisme, ne viserait qu’à entretenir le fonctionnement du système capitaliste et les hiérarchies sociales dans et par l’espace.
Mais c’est donner beaucoup d’importance à l’action sur l’espace, même si celle-ci demeure nécessaire à la survie du capitalisme (Lefebvre, 2002 [1973]). Lefebvre considère ainsi que l’urbanisme, qui se donne comme science ou comme pratique, n’est rien d’autre qu’une idéologie et une « mystification » : celle de l’organisation volontariste de l’espace (1970b). Cette idéologie renvoie à ce que des auteurs ultérieurs qualifieront du néologisme de « spatialisme » (Chalas, 1997 : 17-18 ; Garnier, 2001, Busquet, 2007). Il s’agit de cette idéologie – qui n’épargne pas, d’ailleurs, l’esprit utopique depuis ses origines – selon laquelle l’action sur l’espace permettrait d’agir sur le social – qu’il s’agisse de mieux contrôler les groupes sociaux ou bien de transformer les rapports sociaux, les modes de vie, les sociabilités, etc. Cette idéologie spatialiste, en postulant un déterminisme causal entre l’espace et les faits sociaux, consiste à décréter que, les problèmes sociaux s’inscrivant et étant visibles dans l’espace, l’espace les induit, et c’est sur l’espace physique, bâti, que l’on doit agir pour les résoudre. En somme, cette idéologie fait dépendre l’ordre social du facteur spatial et impose l’action sur l’espace pour préserver ou transformer cet ordre (que ce soit par l’action publique ou encore par la proposition d’une « cité idéale » à l’architecture et à l’organisation appropriées à de nouveaux rapports sociaux, à de nouveaux modes de vie et comportements, etc.). C’est oublier que, si l’espace urbain et son organisation ont certes des impacts sur les manières de vivre et les représentations, si l’espace matériel a une quelconque influence sur les pratiques et comportements, et s’il agit de manière contraignante sur les groupes sociaux et structures sociales (morphologies, sociabilités, identités), c’est avant tout par les représentations que s’en font les groupes sociaux et les individus en fonction de leurs histoires et de leurs appartenances sociales (Halbwachs, 1970 [1938] : 8-13 ; Halbwachs, 1968 [1950] : 133-146 ; Roncayolo, 1997), représentations certes induites par les symboles et les signes aménagés pour eux (Lefebvre, 1970 [1969] : 283).
Henri Lefebvre a d’ailleurs décrypté cette idéologie spatialiste – dans son aspect volontariste, c’est-à-dire orienté vers l’action, soit le deuxième « moment » du processus idéologique spatialiste venant après le constat (les maux sociaux découlent de l’espace) –, lorsqu’il s’est attaché à pointer du doigt les mythes et mystifications attachés à l’espace urbain. Si Lefebvre est utopiste – « utopien », comme il le dit lui-même (Busquet, 2004 : 54-57) et comme on le verra plus loin –, son utopie est le contraire d’une utopie spatialiste.
« S’il y a connexion entre les rapports sociaux et l’espace, entre les lieux et les groupes humains, il faudrait, pour établir une cohésion, modifier radicalement les structures de l’espace […] Ce rôle de démiurge de l’architecte fait partie de la mythologie et/ou de l’idéologie urbaines, difficiles à départager. […] Renverser cette situation ? Voilà le possible aujourd’hui impossible, lié à des actions transformatrices de la société. Ce n’est pas à l’architecte de “définir une nouvelle conception de la vie ”, de permettre à l’individu de se développer sur un plan supérieur en le déchargeant du poids de la quotidienneté, comme le croyait Gropius. C’est à une nouvelle conception de la vie de permettre l’oeuvre de l’architecte, qui servira ici encore de “condensateur social ” non plus des rapports sociaux capitalistes et de la commande qui les “ reflète ”, mais de rapports en mouvements et de nouveaux rapports en voie de constitution.» (Lefebvre, 1970a : 124-134)
« Changer la ville pour changer la vie » est donc, pour Lefebvre – même s’il est partisan du changement social et spatial – synonyme d’erreur et de mystification. Il propose de prendre le problème à l’envers. C’est le changement social et dans la « vie quotidienne » qui permettra au mode de production de l’espace et à l’espace lui-même de se transformer. L’architecte, dans ce processus, n’aura qu’un rôle d’accompagnateur3.
Mais une transformation sociale ne peut toutefois aller de pair qu’avec une transformation spatiale – ou plutôt un autre mode de production de l’espace, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. A l’inverse, une transformation de l’espace et de son mode de production ne servirait à rien sans une transformation radicale de la structure et des rapports sociaux (capitalistes). Autrement dit, d’autres rapports sociaux entraîneront inévitablement d’autres modes de production de l’espace et donc, un autre espace approprié à ces rapports. Réciproquement, de tels rapports ne seront possibles qu’avec un espace qui leur est approprié. Ici, donc, pas de déterminisme spatial, mais une interrelation plus complexe entre espaces et devenir social. En aucun cas, pour l’auteur, il ne s’agit donc de réduire cette complexité au seul facteur spatial, et les rapports espaces/sociétés au seul espace.
3 Cette conception sera d’ailleurs reprise par l’Institut de sociologie urbaine, qui reprendra, à partir des années 1960, les théories de Lefebvre pour les appliquer à l’étude de l’habitat pavillonnaire et des modes d’habiter : voir notamment Haumont Nicole, 1968, « Habitat et modèles culturels », Revue française de sociologie, Vol. IX, n° 2, Paris : CNRS, (avril-juin) : 180-190.
« L’urbanisme comme idéologie formule tous les problèmes de la société en questions d’espace et transpose en termes spatiaux tout ce qui vient de l’histoire, de la conscience. Idéologie qui se dédouble aussitôt. Puisque la société ne fonctionne pas d’une manière satisfaisante, n’y aurait-il pas une pathologie de l’espace ? Dans cette perspective, on ne conçoit pas la priorité presque officiellement reconnue de l’espace sur le temps comme indice de pathologie sociale : comme symptôme parmi d’autres d’une réalité qui engendre des maladies sociales. On se représente au contraire des espaces malsains et des espaces sains. L’urbaniste saurait discerner les espaces malades des espaces liés à la santé mentale et sociale, générateurs de cette santé. Médecin de l’espace, il aurait la capacité de concevoir un espace social harmonieux, normal et normalisant. Sa fonction serait dès lors d’accorder à cet espace (qui se trouve comme par hasard identique à l’espace des géomètres, celui des topologies abstraites) les réalités sociales préexistantes. » (Lefebvre, 1974 [1968] : 51)
Présente dans l’urbanisme, au sein de la pratique architecturale tout comme dans les politiques urbaines, cette idéologie spatialiste a également souvent, et paradoxalement, guidé les slogans de ceux qui s’y opposaient, en prônant parfois « le droit à la ville » ou « l’urbanisation de la lutte des classes », deux mots d’ordre dans la France de la fin des années 1960 (Busquet, 2007). Quoi qu’il en soit, ce spatialisme parcourt toute l’action publique territorialisée française et les contestations de cette action (pour ne parler que du contexte français) depuis plus d’un demi-siècle, de la planification urbaine à la « Politique de la ville », en passant par les rénovations et autres requalifications urbaines. Et cette idéologie se saisit de l’espace comme d’un instrument, au point de le faire passer pour un enjeu.
L’idéologie spatialiste a donc des répercussions directes sur la production des territoires urbains contemporains. On a également dit que l’utopie, depuis Thomas More jusqu’à Charles Fourier, a toujours été marquée par cet esprit « spatialiste » : changer l’espace pour changer la société, créer un autre espace pour une autre société…
Cependant, la réponse à cette idéologie, c’est bien sûr l’utopie, mais pas n’importe laquelle : pas celle définie par Françoise Choay, c’est-à-dire une utopie qui se caractérise par une « critique modélisante » et la proposition d’un « ailleurs » spatio-temporel (Choay, 1980 : 51-52). On parlera ici de l’utopie au sens plus large d’Henri Desroches (1996) ou de Joseph Gabel (1974), selon lesquels elle serait une forme de critique - le « projet imaginaire d’une réalité ou d’une société autre » permettant de « percevoir dans le présent le possible ignoré ».
De l’idéologie à l’utopie
Si aujourd’hui, la sociologie urbaine, même sur un mode plus ou moins engagé, se veut synonyme d’objectivité, la sociologie de Lefebvre, elle, assume pleinement sa subjectivité : à la fois méthodologiquement, puisque cette sociologie doit se situer au plus près de la pratique sociale, des représentations et des usages quotidiens de l’espace ; mais aussi politiquement, cette sociologie devant servir, selon lui, à l’émancipation du citadin, de l’habitant – et de la classe ouvrière – face à la domination et à l’aliénation sous toutes leurs formes (dont la domination et l’aliénation proprement urbaines).
C’est ainsi que Lefebvre se pose, à sa manière, en utopiste (Busquet, 2004), l’utopie étant ici comprise au sens de Karl Mannheim ou Joseph Gabel comme un système d’idées qui « transcende » une situation historique et sociale donnée, non pas en la niant, mais en la dépassant.
Lefebvre préfère d’ailleurs se qualifier d’ « utopien », terme qui renvoie, étymologiquement, à l’habitant de l’utopie, car pour lui, le « possible » fait partie intégrante du réel (1974 [1968] : 112). L’utopie qu’il propose ne nie donc pas la réalité (sociale, spatiale, historique), mais la prend en compte – compose avec – afin, justement d’en explorer les potentialités. Et l’espace urbain lui-même est jonché des marques et des potentialités du changement : il est particulièrement assujetti aux signes de cette utopie et, donc, propice à devenir l’objet privilégié de cette utopie. De même qu’il ne peut y avoir d’idéologie sans référence à l’espace, il ne peut y avoir de pensée urbaine sans utopie (Lefebvre, 2000 [1972] : 64).
Il existe en effet trois moments clairement établis dans ce processus utopique : connaissance et critique du réel, exploration des possibles, et, éventuellement, proposition d’un ailleurs. Comme l’explique souvent Lefebvre, pour pouvoir imaginer et proposer une réalité autre, il faut évidemment analyser et connaître la réalité effective et la comprendre. Une fois cette entreprise effectuée, la critique peut se mettre en place. Le sociologue Joseph Gabel distingue dans la même veine l’ « utopie psychologique », synonyme de fuite dans l’imaginaire ou dans des « rêves stériles », de l’ « utopie socio-politique », celle qui permet de « rêver l’impossible pour réaliser le possible » (Gabel, 1974 : 27). Pour caractériser cette forme d’utopie qui ne nie pas la réalité mais en explore les potentialités, dans la perspective d’une transformation possible de la réalité sociale, politique, spatiale…, le philosophe Ernst Bloch parle, lui, d’utopie « positive » ou « concrète et agissante », qui permet « d’espérer à partir du réel » (Bloch, 1982 [1959], et 1977 [1918]), Henri Lefebvre d’ « utopie concrète » (Lefebvre, 1970c) et David Harvey, plus tard, d’ « utopisme dialectique », visant à dépasser la réalité à partir de sa critique radicale (Harvey, 2000).
Lefebvre distingue d’ailleurs, à l’instar de Joseph Gabel, deux types d’utopies qu’il définit comme « image de l’avenir qui permet de sortir de l’accompli pour critiquer et juger le présent » : l’utopie qui est un « symptôme d’échec et d’impuissance » et celle qui constitue la « manifestation d’un élan affectif vers l’action » (Lefebvre, 1962 : 73). Le but essentiel de l’utopie, selon lui, n’est pas tant la proposition formelle d’un ordre idéal que la critique de l’ordre existant et « l’action ». La proposition n’est en quelque sorte qu’un prétexte, - un instrument - pour critiquer cet ordre.
Et qui dit critique de l’ordre existant, dit critique du pouvoir, bien sûr, mais aussi de la société qui l’a façonné, ainsi que critique de l’espace que cette même société a façonné et qui la façonne à son tour. La ville devient donc, pour Lefebvre, le lieu des possibles, des meilleurs comme des pires… Un autre mode de production de l’espace ne peut donc s’accompagner que d’une « vision du monde » autre, non plus d’une idéologie, mais d’une utopie concrète, positive et agissante, c’est-à-dire qui ne se situe pas hors du temps et de l’espace social. Ce qui est le préliminaire, semble-t-il, à ce type d’utopie, non « schizoïde » (Gabel, 1974 : 27) et non « stérile ».
Lefebvre applique alors à l’ordre social une méthode que l’on pourrait qualifier de « méthode utopienne » : saisir la réalité socio-spatiale telle qu’elle est (avec ses problèmes, ses atouts et ses contradictions) et déceler les possibles qu’elle renferme.
Cette utopie, ce possible qu’il croit apercevoir, c’est la fameuse « révolution urbaine », ouvrant à « la société urbaine » réalisable et concordante, pense-t-il, avec le cours de l’histoire et le devenir des sociétés. Et sa condition, c’est le « droit à la ville » : « Le développement de la société ne peut se concevoir que dans la vie urbaine, par la réalisation de la société urbaine ». (Lefebvre, 1974 [1968] : 144)
A partir de la critique de l’ordre urbain que l’on a détaillée, Lefebvre en appelle donc en 1968 à ce « droit à la ville » ou « droit à la société urbaine » qui, plus qu’un droit au logement, à l’accès aux services qu’offre la ville, correspond au droit à la réelle appropriation par les habitants de leur vie de citadins, de leurs conditions de vie, droit auquel s’ajoute un droit à une centralité renouvelée, « ludique », et à l’appropriation de ses symboles, de ses fonctions, dans la perspective d’une ville comprise comme « oeuvre collective » (Lefebvre, 1974 [1968]), ce qui suppose, écrit-il en 1974, « la possession et la gestion collective de l’espace » (Lefebvre, 2000 [1974]).
Cette « utopie » défendue par l’auteur n’est cependant nullement destinée à servir de « modèle ». Elle permet seulement, en déterminant les « possibles-impossibles » de la « réalité » – ce que Lefebvre nomme « la transduction » –, de faire évoluer, entre autres, la connaissance de l’urbain au niveau théorique, et donc, d’ouvrir, pourrait-on dire, à une meilleure planification spatiale n’allant pas à l’encontre des pratiques sociales, des « désirs », de la liberté. Il s’agit d’une « utopie expérimentale », « étudiant sur le terrain les implications et les conséquences » de l’utopie (Lefebvre, 1974 [1968] : 112), en somme, le contraire d’une utopie spatialiste. Les expressions « vie urbaine » ou « société urbaine » ne se réduisent nullement à des aspects morphologiques (spatiaux). Ainsi, lorsque Lefebvre déclare que la société ne peut se développer que dans l’urbain, il sous-entend l’urbanisation généralisée. Il ne prône nullement une planification totale de la société dans et par l’espace mais un changement des rapports sociaux rendu possible « dans » un espace, dont l’aménagement ne doit pas être contraignant. La « réalisation de la société urbaine » ne signifie donc pas planification, ou pas seulement :
« Toutes les audaces sont permises. Pourquoi limiter ces propositions à la seule morphologie de l’espace et du temps ? Il n’est pas exclu que des propositions concernent le style de vie, la façon de vivre dans la ville, le développement de l’urbain sur ce plan. […] pour cette réalisation, ni l’organisation de l’entreprise, ni la planification globale ne suffisent. […] La réalisation de la société urbaine appelle une planification orientée vers les besoins sociaux […] Elle nécessite une science de la ville (des relations et corrélations dans la vie urbaine) [et] une force sociale et politique capable de mettre en oeuvre ces moyens (qui ne sont que des moyens) » (Lefebvre, 1974 [1968] : 117-145)
Cette force politique, c’est bien sûr la classe ouvrière. L’utopie lefebvrienne renvoie donc à une théorie liée à une pratique (ici, révolutionnaire). Elle n’impose rien mais s’en remet à la classe ouvrière, aux habitants, pour concrétiser les « possibles » que le penseur croit déceler dans l’évolution sociale et dans l’espace. Et c’est bel et bien la modification des rapports sociaux et l’abolition du mode de production capitaliste qui constituent l’enjeu de l’utopie, autrement dit, la perspective marxiste. L’espace, approprié à ses nouveaux rapports sociaux et dont la production doit devenir collective, n’est que l’un des moyens parmi d’autres de la révolution.
« La révolution fera l’urbain, et non pas “l’urbain” la révolution, encore que la vie urbaine et surtout la lutte pour la ville (pour sa conservation et sa rénovation, pour le droit à la ville) puissent fournir cadre et objectifs à plus d’une action révolutionnaire. Sans une métamorphose de la rationalité dans la planification industrielle, sans une autre gestion de l’industrie, la production n’aura pas pour finalité et sens la vie urbaine comme telle. C’est donc sur le plan de la production, à ce niveau, que se joue la partie et que la stratégie désigne ses objectifs.» (Lefebvre, 1968 : 374)
Ce droit à la ville devra en somme accompagner une révolution économique (autogestion et planification de la production orientée vers la satisfaction des besoins sociaux), politique (auto-organisation), culturelle et de la vie quotidienne (Lefebvre, 1974 [1968]). L’utopie concrète de Lefebvre touche donc à la fois la vie quotidienne, les modes de propriété et de production, mais aussi les formes de pouvoir.
Car ce droit à la ville signifie bien sûr également une participation effective – conquise et non octroyée – des habitants et citadins aux décisions et aux projets d’urbanisme. L’autogestion urbaine, concept novateur à l’époque, qu’il est l’un des premiers à formuler et à défendre (Trebitch, 2003), et qui sera repris comme mot d’ordre dans les luttes urbaines des années 1970, constitue la base de ce droit à la ville, censé réaliser la « société urbaine » en devenir.
Depuis le 19ème siècle, la notion d’autogestion s’applique au plan économique, dans l’idée d’une abolition du capitalisme en tant qu’elle abolirait l’appropriation des moyens de production par le capitaliste et permettrait sa réappropriation par l’ouvrier, par la collectivité, propriétaire de sa force de travail et des richesses produites (c’est en particulier le « mutualisme » de Proudhon). Sur le plan politique, elle renvoie à un fédéralisme sans centralisation. L’autogestion fait donc écho le plus souvent à une auto-organisation économique des travailleurs (production et échanges) et à une décentralisation des pouvoirs politiques. Sur les deux plans – économique et politique –, elle s’inscrit alors contre toute forme de dirigisme, d’autorité ou de hiérarchie. Mais, après 1968, notamment sous l’impulsion de Lefebvre, cette idée d’autogestion s’applique aussi à la production urbaine.
Or, pour lui, encore une fois, cette « autogestion urbaine » n’est possible que sur la base de nouveaux rapports sociaux et d’un autre mode de production (non capitaliste), sans quoi l’on courrait le risque de tomber dans la « fausse participation » (Lefebvre, 1967). L’autogestion urbaine est donc à la fois la condition et une conséquence de la révolution urbaine.
Conclusions
De l’idéologie à l’utopie, à travers ces deux systèmes de représentations d’une même réalité socio-spatiale, on a donc affaire à une lecture politique de l’espace urbain qui en fait un instrument - pour la préservation de l’ordre existant ou pour le changement social -, plus qu’un enjeu. Ainsi, pour Lefebvre, la condition du droit à la ville et de la société urbaine, on l’oublie trop souvent, est bien sûr la révolution économique, politique, culturelle et de la vie quotidienne. L’utopie « concrète » lefebvrienne, destinée à la critique radicale de l’existant pour le dépasser, part de la réalité et inclut le changement spatial – et un nouveau mode de production de l’espace – dans une perspective plus globale de modification des rapports sociaux et de la vie quotidienne, sans proposer toutefois de cité idéale ou de modèle autoritaire d’organisation socio-spatiale à l’instar du commun des utopies. Elle laisse du même coup ouvertes les possibilités offertes par la pratique sociale et « l’appropriation ».
Un autre mode de production de l’espace ne pourra ainsi advenir sans modification des rapports sociaux : il n’y a pas de consécration possible du droit à la ville dans le système capitaliste. Henri Lefebvre (2002 [1973]), et David Harvey après lui (1975 [1973], et 2010), ont bien montré que l’espace était nécessaire au développement, si ce n’est à la survie du capitalisme. Chez Lefebvre, cet espace est également nécessaire à l’avènement de la société urbaine qu’il appelle de ses voeux, mais seulement entre autres choses : avec l’autogestion généralisée, l’appropriation collective des moyens de production…
Même au sein de la pensée spatialiste, qu’elle relève de l’idéologie ou de l’utopie et qu’elle soit le fait de l’élu, de l’intellectuel ou de l’architecte, l’action sur l’espace vise à agir sur le social. On pourra conclure que, dans les deux cas, dans l’idéologie comme dans l’utopie, l’espace est instrumentalisé à des fins politiques, mais sa transformation ou son aménagement ne constituent jamais des fins en soi. La complexité des relations entre espaces et société nous amène à penser que ce qui se joue derrière l’espace et ses représentations politiquement orientées, n’est rien d’autre que ce que les philosophes appelaient la « vision du monde » ou, tout du moins, le devenir des sociétés, et donc, la question du pouvoir. C’est en cela que l’espace est avant tout politique.
Quoi qu’il en soit, les écrits de Lefebvre permettent d’appréhender le spatialisme comme parcourant à la fois les systèmes de pensée et de représentations idéologiques et utopiques - ce qui peut nous pousser, en suivant Paul Ricoeur, à ne pas séparer a priori théoriquement et arbitrairement « idéologie » et « utopie » en tant que faces différentes d’une même réalité (Ricoeur, 2005 [1986]). Ils nous permettent également de comprendre que l’utopie concrète, critique, pour reprendre les termes de Lefebvre - qui n’est souvent d’ailleurs qualifiée d’utopique que par les tenants de l’ordre existant-, doit considérer la réalité et ses possibles de manière globale et non seulement spatiale.
A propos de l’auteur : Grégory Busquet est maître de conférences en sociologie, UMR LAVUE (Mosaïques), Université Paris Ouest Nanterre.
Pour citer cet article : Grégory BUSQUET, « L’espace politique chez Henri Lefebvre : l’idéologie et l’utopie » [“Political Space in the Work of Henri Lefebvre: Ideology and Utopia”, translation: Sharon MOREN], justice spatiale | spatial justice, n° 5 déc. 2012-déc. 2013 | dec. 2012-dec. 2013, http://www.jssj.org
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