Τρίτη 2 Μαΐου 2017

Bouillonnement antisystème en Europe et aux États-Unis



LE MONDE DIPLOMATIQUE


En Occident, contestation de gauche... et de droite

Bouillonnement antisystème en Europe et aux États-Unis

Pas de flonflons pour célébrer le soixantième anniversaire du traité de Rome et du Marché commun, le 25 mars. La bannière européenne a perdu son éclat, tant les politiques de l’Union se sont révélées désastreuses. Partout ont fleuri des mouvements antisystème. Dans quelques pays, ils se situent résolument à gauche. Mais nombre d’entre eux font de la xénophobie leur fonds de commerce.
par Perry Anderson  


Emily Eveleth. – « World Bank » (Banque mondiale), 2010
© Emily Eveleth - Miller Yezerski Gallery, Boston
Il y a vingt-cinq ans, l’expression « mouvement antisystème » était fréquemment employée, notamment par les sociologues Immanuel Wallerstein et Giovanni Arrighi, pour décrire les diverses forces de gauche hostiles au capitalisme. De nos jours, elle reste pertinente en Occident, mais sa signification a changé. Les mouvements contestataires qui se sont multipliés au cours des dix dernières années ne se rebellent plus contre le capitalisme, mais contre le néolibéralisme — c’est-à-dire la déréglementation des flux financiers, la privatisation des services publics et le creusement des inégalités sociales, cette variante du règne du capital mise en place en Europe et aux États-Unis depuis les années 1980. L’ordre politique et économique qui en découle a été accepté presque indistinctement par des gouvernements de centre droit et de centre gauche, consacrant le principe de la pensée unique illustré par la maxime de Margaret Thatcher : « Il n’y a pas de solution de rechange » (There is no alternative , ou TINA). Deux types de mouvements se sont développés en réaction à ce système. De droite ou de gauche, ils sont stigmatisés par les classes dirigeantes, qui les présentent comme une menace unique : celle du populisme.
Ce n’est pas un hasard si ces mouvements sont d’abord apparus en Europe plutôt qu’aux États-Unis. Soixante ans après le traité de Rome, l’explication est simple. Le Marché commun de 1957, qui prolongeait la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) — conçue par Robert Schuman à la fois pour éviter le retour d’un siècle d’hostilités franco-allemandes et pour consolider la croissance économique d’après-guerre en Europe de l’Ouest —, était le produit d’une période de plein-emploi et de hausse des salaires moyens, d’ancrage de la démocratie représentative et de développement des systèmes de redistribution. Les accords commerciaux découlant du Marché commun empiétaient peu sur la souveraineté des États membres, qui s’en trouvaient renforcés plutôt qu’affaiblis.
Les budgets et les taux de change étaient décidés au niveau national, par des Parlements responsables devant leurs électeurs, où l’on débattait avec vigueur d’orientations politiques très distinctes. Paris s’était d’ailleurs illustré en freinant les tentatives de la Commission de Bruxelles d’étendre ses prérogatives. La France du général de Gaulle mais aussi, de manière beaucoup plus discrète, l’Allemagne de l’Ouest de Konrad Adenauer conduisaient une politique étrangère indépendante de Washington et capable de lui résister.
La fin des « trente glorieuses » a bouleversé cette construction. Dès le milieu des années 1970, les sociétés capitalistes développées sont entrées dans une longue phase de déclin, analysée par l’historien américain Robert Brenner (1) : décennie après décennie, une diminution durable des taux de croissance et un ralentissement de la productivité, moins d’emplois et plus d’inégalités, le tout ponctué par de fortes récessions. À partir des années 1980, au Royaume-Uni et aux États-Unis d’abord, puis dans toute l’Europe, la stratégie s’inverse : réduction des allocations sociales, privatisation des industries et des services publics, déréglementation des marchés financiers. Le néolibéralisme fait son entrée. En Europe, cependant, il acquiert au fil du temps une forme institutionnelle particulièrement rigide, à mesure que le nombre d’États membres de ce qui deviendra l’Union européenne est multiplié par quatre, englobant ainsi une grande zone de main-d’œuvre bon marché à l’est.
Du marché unique (1986) au pacte budgétaire (2012) en passant par le pacte de stabilité et de croissance (1997), les Parlements nationaux ont été supplantés par une structure d’autorité bureaucratique protégée de la volonté populaire, comme l’avait prédit et réclamé l’économiste ultralibéral Friedrich Hayek. Une fois cette mécanique en place, une austérité draconienne a pu être imposée d’en haut à un électorat sans recours, sous la direction conjointe de la Commission européenne et d’une Allemagne réunifiée devenue l’État le plus puissant de l’Union, et dont les penseurs dominants annonçaient sans précaution la vocation hégémonique sur le continent. Pendant la même période, l’Union et ses membres ont cessé de jouer un rôle dans le monde et d’agir à rebours des directives américaines (2). Lors de la dernière phase de cette subordination, ils se sont placés aux avant-postes des politiques de néo-guerre froide envers la Russie, orchestrées par Washington et payées par l’Europe.

Abrogation du contrôle démocratique

Dès lors que, faisant fi des référendums successifs, la caste de plus en plus oligarchique de l’Union européenne se joue de la volonté populaire et inscrit ses diktats budgétaires dans la Constitution, il n’est pas étonnant qu’elle provoque tant de mouvements de contestation de tous bords. À quoi ressemblent-ils ? Dans le noyau dur de l’Europe d’avant l’élargissement, autrement dit l’Europe occidentale de la guerre froide (écartons pour l’instant l’Europe centrale et orientale, dont la topographie était alors radicalement différente), les mouvements de droite dominent l’opposition au système en France (Front national, FN), aux Pays-Bas (Parti pour la liberté, PVV), en Autriche (Parti de la liberté d’Autriche, FPÖ), en Suède (Démocrates de Suède), au Danemark (Parti populaire danois, DF), en Finlande (Vrais Finlandais), en Allemagne (Alternative pour l’Allemagne, AfD) et au Royaume-Uni (UKIP).
En Espagne, en Grèce et en Irlande prévalent en revanche des mouvements de gauche, respectivement Podemos, Syriza et Sinn Féin. L’Italie constitue un cas à part dans la mesure où elle conjugue un mouvement antisystème situé clairement à droite, la Ligue du Nord, et un parti, plus puissant encore, qui dépasse le clivage gauche-droite : le Mouvement 5 étoiles (M5S). La rhétorique extraparlementaire de ce dernier sur l’impôt et l’immigration le classerait à droite, mais son action parlementaire le situe plutôt à gauche, en raison de la constante opposition qu’il a manifestée au gouvernement de M. Matteo Renzi, notamment sur les questions d’éducation et de déréglementation du marché du travail, et de son rôle décisif dans la mise en échec du projet de rendre plus autoritaire la Constitution italienne (3). À cet ensemble s’ajoute Momentum, une organisation qui a émergé au Royaume-Uni pour favoriser l’élection inattendue de M. Jeremy Corbyn à la tête du Labour. À l’exception de l’AfD, tous les mouvements de droite sont apparus avant la crise de 2008, pour certains pendant les années 1970, voire plus tôt encore. En revanche, la montée de Syriza et la naissance du M5S, de Podemos et de Momentum découlent de la crise financière mondiale.
Dans ce décor général, le fait central est que, dans leur ensemble, les mouvements de droite pèsent plus lourd que ceux de gauche, si l’on en juge par le nombre de pays où ils dominent et par leur force électorale cumulée. Cet avantage s’explique par la structure du système néolibéral contre lequel ils s’insurgent, qui trouve son expression la plus brutale et la plus concentrée dans ce qu’est devenue l’Union européenne.
Son ordre se fonde sur trois principes : réduction et privatisation des services publics, abrogation du contrôle et de la représentation démocratiques, déréglementation des facteurs de production. Tous trois sont omniprésents au niveau national en Europe comme ailleurs, mais ils se manifestent de manière plus intense encore au sein de l’Union. L’attestent les pressions infligées à la Grèce, la série de référendums bafoués et l’ampleur croissante du dumping salarial. Dans l’arène politique, ces orientations directrices alimentent les inquiétudes principales de la population et motivent ses manifestations d’hostilité au système, qui concernent l’austérité, la perte de souveraineté et l’immigration.

Emily Eveleth. – « Fists » (Poings), 2010
© Emily Eveleth. - Miller Yezerski Gallery, Boston
Les mouvements antisystème se différencient par l’importance qu’ils attribuent à chacun de ces facteurs, déterminant ainsi les aspects de la palette néolibérale qu’ils choisissent de cibler en priorité.
La raison la plus évidente du succès des mouvements de droite tient à ce qu’ils se sont d’emblée approprié la question de l’immigration. Ils jouent sur les réactions xénophobes et racistes afin de gagner le soutien des couches de la population les plus vulnérables. À l’exception des mouvements néerlandais et allemand, adeptes du libéralisme économique, cette position est intimement associée non à la dénonciation mais à la défense de l’État-providence, menacé selon eux par l’arrivée de migrants — une thèse défendue par les mouvements antisystème de droite en France, au Danemark, en Suède et en Finlande.
Toutefois, on aurait tort d’attribuer leur avantage à ce seul argument. Dans certains États importants, comme l’illustre le FN, ils combattent également sur d’autres fronts, par exemple celui de l’union monétaire. L’euro et la Banque centrale tels qu’ils ont été conçus à Maastricht ont associé l’austérité et le déni de la souveraineté populaire dans un seul et même système. Les mouvements de gauche les mettent en accusation avec autant de véhémence, voire davantage, mais ils tendent à proposer des solutions moins radicales. En revanche, le FN ou la Ligue du Nord préconisent des remèdes draconiens et percutants aux « fléaux » de la monnaie unique et de l’immigration : sortir de la zone euro et fermer les frontières. La gauche, à quelques exceptions près, n’a pas formulé d’exigences aussi explicites. Elle propose au mieux d’apporter à la monnaie unique quelques ajustements techniques trop complexes pour mobiliser un large électorat ; sur l’immigration, il est rare qu’elle aille au-delà des bons sentiments.

Un statu quo détesté

L’immigration et l’union monétaire posent problème à la gauche pour des raisons historiques. Le traité de Rome reposait sur la promesse d’une libre circulation des capitaux, des biens et de la main-d’œuvre au sein d’un Marché commun européen. Tant que celui-ci se limitait aux pays d’Europe occidentale, seule la mobilité des deux premiers facteurs de production comptait vraiment, les migrations transfrontalières restant en général — la France est une exception — plutôt modestes. Cependant, à compter de la fin des années 1960, la population de travailleurs immigrés issue des anciennes colonies africaines, asiatiques et caribéennes ainsi que des régions semi-coloniales de l’ancien Empire ottoman atteignait déjà un nombre significatif. L’élargissement à l’Europe centrale a ensuite amplifié les migrations intra-européennes. Enfin, les interventions néo-impérialistes successives dans les anciennes colonies méditerranéennes — l’attaque-éclair en Libye en 2011 et la participation indirecte à la guerre civile en Syrie — ont amené en Europe des vagues de réfugiés et un terrorisme de représailles.
Tout cela a attisé la xénophobie, dont les mouvements antisystème de droite ont fait leur fonds de commerce et que la gauche combat par fidélité à la cause de l’internationalisme humaniste. Les mêmes inclinations ont conduit une grande partie de cette dernière à résister à toute idée de mettre un terme à l’union monétaire, ce qui conduirait selon elle à un nationalisme associé aux catastrophes du passé. L’idéal de l’unité européenne reste à ses yeux une valeur fondamentale. Mais l’Europe réellement existante de l’intégration néolibérale constitue un ordre plus cohérent que toutes les solutions hésitantes qui lui ont été opposées jusque-là. L’austérité, l’oligarchie et la mobilité forment un système interconnecté. La troisième est indissociable de la deuxième : aucun électeur des pays européens n’a jamais été consulté sur l’arrivée plus ou moins importante de main-d’œuvre étrangère dans sa société, laquelle s’est toujours produite à son insu.
La négation de la démocratie qu’est devenue la structure de l’Union a exclu d’emblée toute possibilité de se prononcer sur ces questions. Le rejet de cette Europe-là par les mouvements de droite apparaît plus cohérent politiquement que celui de la gauche — une autre raison de l’avance des premiers sur la seconde.
L’arrivée du M5S, de Syriza, de Podemos et de l’AfD a marqué un bond en avant du mécontentement populaire en Europe. Les sondages actuels affichent des niveaux record de rejet de l’Union. Mais, à gauche comme à droite, le poids parlementaire des mouvements antisystème reste limité. Au niveau européen, lors des dernières échéances électorales, les trois meilleurs résultats de la droite antisystème — obtenus par l’UKIP, le FN et le Parti populaire danois — se situaient aux alentours du quart des voix. Au niveau national, en Europe de l’Ouest, le score moyen de toutes ces forces — gauche et droite confondues — atteint environ 15 %. Un sixième de l’électorat ne représente pas une menace sérieuse pour l’ordre établi. Un quart peut poser problème, mais le « danger populiste » dont s’alarme la presse demeure très relatif. Les seules fois où un mouvement antisystème a accédé au pouvoir (ou semblait sur le point d’y parvenir), c’était à cause d’un mode de scrutin censé favoriser des partis majoritaires et qui s’est retourné contre ces derniers, comme en Grèce, ou qui a failli le faire, comme en Italie.

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