Πέμπτη 17 Δεκεμβρίου 2015

Philippe Corcuff, sociologue anarchiste

Philippe Corcuff, sociologue anarchiste
Publié le 12 Décembre 2015
Philippe Corcuff, sociologue anarchiste
Le sociologue Philippe Corcuff entend dépoussiérer la pensée libertaire. Sa réflexion se rapproche pourtant de l'anarchisme traditionnel.

La pensée libertaire semble s’enfermer dans le ronronnement de la routine militante. C’est surtout l’impuissance qui caractérise le mouvement anarchiste dans ce début de XXIe siècle, malgré les révoltes dans les pays arabes ou le mouvement Occupy qui incarnent de nouvelles formes de lutte. Philippe Corcuff, sociologue et philosophe, propose des réflexions originales. Cet intellectuel médiatique se distingue par un parcours singulier, à rebours de la vague réactionnaire de notre époque. Il commence à militer au Parti socialiste avant de s’orienter vers la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Il milite aujourd’hui à la Fédération anarchiste (FA). Il insiste sur l’importance de l’émancipation contre les dominations pour favoriser une autonomie individuelle et collective.
Philippe Corcuff entend congédier les vieux modèles des avant-gardes éclairées qui prétendent guider les masses. Au contraire, il faut « fabriquer une politique émancipatrice avec les opprimés à partir de leur vie quotidienne, et non pas par en haut et à leur place en répétant des mots d’ordre généraux descendus des milieux dirigeants ou des penseurs supposés omniscients », souligne Philippe Corcuff. Mais l’universitaire continue d’insister sur le rôle des intellectuels, même dans une position plus modeste et secondaire. Il continue de penser la politique à partir des outils confinés dans les amphithéâtres.
Philippe Corcuff entend dépoussiérer la vieille tradition anarchiste dans laquelle il s’inscrit. Il rejette à juste titre la rigidité du "marxisme libertaire" et l’anarcho-communisme dogmatique  qui impose une « discipline » individuelle et collective. En revanche, il renoue avec la pensée de Proudhon et de l’anarchisme individualiste. Il ne s’inscrit pas dans le courant du communisme libertaire qui propose une rupture avec l’ordre existant à travers une généralisation des luttes sociales. Mais Philippe Corcuff s’attache davantage à penser une alternative ici et maintenant.


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Impasses politiques

Philippe Corcuff revient sur son parcours militant et sur les limites de ses divers engagements politiques. Il a participé à des organisations attachées à la conquête du pouvoir d’Etat. Pourtant, aucune réforme ne semble possible à partir des institutions. Même lorsque des marges de manœuvre existent, les politiciens ne peuvent que rester enfermés dans des « contraintes mentalement intériorisées et institutionnellement routinisées », observe le sociologue. Une véritable logique bureaucratique empêche toute possibilité de réforme.
La Ligue communiste révolutionnaire entend relier théorie et pratique, notamment à travers la figure de Daniel Bensaïd. Mais ce groupuscule marxiste-léniniste estime que le Parti demeure supérieur aux mouvements sociaux. Le NPA accentue cette dérive électoraliste et autoritaire. Philippe Corcuff décide alors d’adhérer à la Fédération anarchiste. Ce groupuscule se situe à distance des logiques institutionnelles de pouvoir. Il semble attaché à l’auto-émancipation des opprimés. Il refuse le règne du collectivisme au détriment de l’individu.

Philippe Corcuff propose une critique du capitalisme productiviste. André Gorz articule marxisme critique et écologie politique. Il estime que la logique marchande s’oppose à la justice sociale mais aussi à la qualité existentielle de la vie des individus et à la préservation des univers naturels. Une contradiction capital / nature s’accentue.
Mais Philippe Corcuff pointe également les limites du courant de la décroissance et sa vision négative de la nature humaine. Pour Karl Marx, une société émancipatrice doit libérer les désirs humains créateurs de leurs entraves, comme la marchandisation et la spécialisation du travail. Au contraire, les décroissants veulent davantage encadrer les désirs humains pour leur imposer davantage de limites et de contraintes. La frugalité, l’ascèse, l’enracinement local demeurent des valeurs réactionnaires qui fondent la décroissance. Vincent Cheynet, patron du journal La Décroissance, ou le philosophe Jean-Claude Michéa, développent par exemple une nostalgie pour la famille patriarcale traditionnelle.
Philippe Corcuff s’appuie sur la réflexion néo-zapatiste, incarnée notamment par l’universitaire altermondialiste John Holloway. Il critique la stratégie traditionnelle de la conquête du pouvoir et de la politique à travers l’Etat. Il observe également une logique de parti et une institutionnalisation des luttes sociales. Il insiste au contraire sur les brèches contre le capital qui existent dans certaines expériences du quotidien. Mais John Holloway refuse de s’appuyer sur une mémoire critique des luttes sociales. Il s’inscrit dans une logique du présent et de l’immédiat, de l’ici et maintenant.

Philippe Corcuff évoque les cultures populaires pour renouveler la critique sociale. Le polar américain révèle le poids des contraintes sociales sur l’individu, comme chez David Goodis. Le racisme s’imbrique également dans les rapports de classe chez James Lee Burke.
La chanson et le hip hop peuvent évoquer les fragilités de l’existence. Casey parle de son vécu de jeune noire qui grandit dans un quartier populaire. Elle critique le racisme mais aussi les normes de genre et le contrôle social qui existent aussi chez les opprimés. L’émancipation individuelle et la créativité peuvent permettre de s’échapper de l’étouffoir des contraintes sociales. Keny Arkana associe émancipation individuelle et collective.

                         Phil Noir - Philippe CORCUFF/dessin de CHARB

Individualisme libertaire

Philippe Corcuff propose une lecture originale et stimulante des textes de Karl Marx. Le traducteur Maximilien Rubel souligne la dimension libertaire de Marx. Mais il veut en faire un théoricien anarchiste, et occulte certaines tendances autoritaires présentes dans ses écrits. Daniel Guérin propose une synthèse entre anarchisme et marxisme. Mais il se contente d’associer deux blocs pour construire artificiellement une nouvelle idéologie. Surtout, sa démarche ne permet pas de jeter un regard critique sur le marxisme comme sur l’anarchisme. Philippe Corcuff critique également les militants des deux courants qui préfèrent cultiver un entre soi pour préserver une identité et un folklore plutôt que d’agir concrètement sur le réel.
Michel Henry permet de découvrir la sensualité individuelle chez Marx. Dans ses écrits de jeunesse, le philosophe attaque la logique marchande qui colonise tous les aspects de la vie. « Chacun de ses rapports humains avec le monde, voir, entendre, sentir, goûter, toucher, penser, contempler, vouloir, agir, aimer, bref tous les actes de son individualité », sont laminés par le capitalisme selon Marx. L’aliénation marchande ne permet plus aux individus d’exprimer leur créativité. Marx attaque également le « communisme vulgaire » qui ne propose que nivellement et uniformisation au détriment de l’expression des singularités individuelles. Cette approche par la sensualité individuelle influence le romantisme révolutionnaire.
Karl Marx critique le morcellement de l’activité humaine avec un individu, spécialisé, étriqué et marchandisé. Les pratiques artistiques et la créativité doivent permettre l’épanouissement individuel et sensuel. Des activités ludiques et populaires permettent de rendre la vie passionnante.

Philippe Corcuff invite à revaloriser la place de l’individu. Les organisations du mouvement social insistent sur une logique collectiviste au détriment l’épanouissement individuel. Même les communistes libertaires plateformistes dénoncent « l’individualisme irresponsable » pour défendre la « responsabilité collective ». La discipline du groupe doit alors s’imposer aux individus.
Le capitalisme peut expliquer le développement de l’individualisme avec l’atomisation de la société. Mais les luttes sociales ont également permis de politiser l’intime et le personnel. Les luttes des homosexuels, des femmes, les mouvements de libération sexuelle ont permis d’attaquer la famille patriarcale pour permettre davantage d’épanouissement individuel.
Il devient possible de s’appuyer sur l’individualisme contemporain pour dessiner des pistes émancipatrices. L’expression des individualités rentre en contradiction avec la logique marchande. La réalisation de soi semble valorisée par le capitalisme. Mais les désirs individuels se heurtent souvent aux impératifs de la rentabilité et du profit. Les frustrations peuvent alimenter la révolte.


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Anarchisme universitaire

Philippe Corcuff apparaît comme l’un des intellectuels de gauche les moins consternants. Ses critiques adressées aux différents courants politiques se révèlent souvent pertinentes. Son ironie sur l’entre soi militant vise juste. Son attachement à l’expérimentation et à une démarche pragmatiste permet de sortir des certitudes idéologiques et des vieux schémas politiques. Son individualisme libertaire offre également des pistes de réflexion stimulantes. La trajectoire militante du sociologue inspire également la sympathie. Son évolution vers l’anarchisme résulte d’une longue évolution intellectuelle sincère et courageuse. En revanche, il semble également important de pointer les limites d’une démarche intellectuelle et politique.
Philippe Corcuff prétend se sortir de la posture de l’avant-garde intellectuelle qui éclaire les masses. Mais ses écrits souffrent de la pesanteur d’une posture universitaire surplombante. Ses textes sont relativement clairs, mais des concepts pédants et jargonneux fleurissent souvent. Surtout, l’universitaire ne perçoit pas les effets autoritaires du langage académique. La référence constante à des auteurs pour évoquer des idées assez banales permet de légitimer l’argumentation en se parant de l’autorité intellectuelle d’un philosophe.
Les sciences sociales peuvent alimenter la réflexion critique et ne doivent pas être rejetées totalement. Mais le savoir universitaire ne doit pas devenir l’unique ressource de la pensée critique. Il existe également des réflexions dans les luttes sociales, au plus près des enjeux politiques concrets. Ce sont les mouvements de lutte qui doivent alimenter la théorie et non la théorie qui doit orienter les luttes. Le bavardage foucaldien et autres concepts fumeux venus des campus américains ne permettent pas de penser les enjeux de lutte mais servent uniquement à des intellectuels pour conforter leur petit pouvoir dans les milieux militants.

Ensuite, les réflexions de Philippe Corcuff révèlent également quelques limites politiques. Le sociologue dénonce la domination mais se méfie de la critique de l’aliénation. Cette expression permet pourtant de montrer que les individus se trouvent dépossédés du contrôle de leur vie. Certes, l’École de Francfort peut considérer l’aliénation comme immuable à des masses asservies. Mais le marxisme critique ou les situationnistes estiment que les prolétaires peuvent sortir de l’aliénation à travers les luttes sociales.
Philippe Corcuff dénonce surtout une notion trop totalisante. Sur ce point, il ne fait que relayer le crétinisme postmoderne. La pensée critique, sous l’influence de l’Université, devient morcelée et spécialisée. Les intellectuels se focalisent sur des oppressions spécifiques qui se regroupent ensuite de manière artificielle derrière le concept fumeux d’intersectionnalité. En revanche, les critiques globales de la société marchande et bureaucratique sont accusées d’invisibiliser telle ou telle oppression spécifique. Philippe Corcuff valorise ainsi les micro-résistances et les alternatives en acte plutôt qu’une perspective de rupture révolutionnaire.

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Alternatives et réformisme

Philippe Corcuff se réfère de manière fidèle à Proudhon, le théoricien des mutuelles et des coopératives comme moyen de changement social. Dans ce sens, son adhésion à la Fédération anarchiste semble logique. Ce groupuscule refuse le clivage entre réforme et révolution. Dans un texte sur les convergences concrètes avec les anarchistes, les positions avancées ont séduit Philippe Corcuff. Selon les anarchistes, le changement ne vient pas uniquement des luttes sociales, de leur généralisation, de leurs coordinations, de leurs nouvelles formes d’organisation. Non, le changement doit venir des Amap, des Sel, des Scop, des potagers et autres boutiques autogérées. Ces alternatives doivent se propager pour, progressivement, accoucher d’une société anarchiste.
Ces expériences concrètes sont sans doute sympathiques, mais sont rapidement récupérées et institutionnalisées. L’économie sociale et solidaire montre que ces alternatives sont devenues un secteur florissant de l’économie capitaliste. Surtout, les entreprises autogérées relèvent au mieux de la débrouille. Les problèmes de précarité, de logement, de conditions de travail et de vie ne peuvent pas se résoudre uniquement avec des paniers bios.

En revanche, Philippe Corcuff ne semble pas beaucoup s’intéresser aux luttes sociales. Son pragmatisme semble surtout philosophique et conceptuel. Pourtant, les luttes sociales sont aussi des espaces d’expérimentation et de créativité. Dans un contexte de bouillonnement contestataire, le clivage entre réformistes et révolutionnaires prend tout son sens. Les révolutionnaires ne sont pas des illuminés qui refusent de bénéficier d’une augmentation de salaire à l’issue d’une grève pour pouvoir préserver leur pureté idéologique. En revanche, les révolutionnaires dénoncent les impasses bureaucratiques avec les tentatives d’encadrer les luttes et de les restreindre dans le cadre de négociations inoffensives.
Les révolutionnaires ne doivent pas non plus imposer un projet de société élaboré par des petits groupes intellectuels. En revanche, il semble important d’épouser la dynamique et la créativité des luttes sociales qui peuvent esquisser une perspective de rupture avec le capitalisme. Dans cette démarche, l’expérimentation devient alors centrale pour inventer de nouvelles possibilités d’existence.

Source : Philippe Corcuff, Enjeux libertaires pour le XXIe siècle par un anarchiste néophyte, Editions du Monde libertaire, 2015


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